YO-IN
Presse (Francais)
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Le Monde
Samedi 22 novembre 1980
MUSIQUE
AU SIGMA DE BORDEAUX
Les réverbérations de Jean-Claude Eloy
Jacques Lonchampt
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Le Monde
Mercredi 25 février 1981
MUSIQUE
Réverbérations psychiques
Jacques Lonchampt
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LE MATIN DE PARIS
25 Février 1981
MUSIQUE
La critique
de Claude Samuel
"Yo-in " de Jean-Claude Eloy
Le parcours immense d'un opéra imaginaire
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LE NOUVEL OBSERVATEUR
22 Août 1981 n° 876
LA MUSIQUE
par Maurice Fleuret
Dans l'il
du cyclone
YO-IN
de Jean-Claude EIoy
Festival d'Avignon
*
KÖLNER STADT-ANZEIGER
Vendredi, 18 septembre 1981
Bain relaxant dans les sons
Musique du Temps ("Musik der Zeit") au WDR :
lopéra imaginaire " Yo-In " de Jean-Claude Eloy
par Gisela Gronemeyer
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YO-IN
Presse (Francais)
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LE MONDE
Samedi 22 novembre 1980
MUSIQUE
AU SIGMA DE BORDEAUX
Les réverbérations de Jean-Claude Eloy
Les quinze ans du SIGMA
de Bordeaux - comme le temps passe ! - méritaient un regard en
arrière dans le domaine de la musique contemporaine pour laquelle
il a tant fait (soixante-six concerts avec cinquante-six créations).
À travers les rues et les salles de l'Entrepôt Laîné,
une exposition est consacrée à "ces musiciens et leurs
drôles de machines", les jalons significatifs de la nouvelle
lutherie de la boîte gadget à l'ordinateur, avec la participation
des principaux organismes français de production électronique.
Un parcours captivant, présenté avec beaucoup d'expérience
pédagogique.
À côté des concerts de l'IRCAM, de l'Itinéraire,
de l'Ensemble international de saxophones, les principaux événements
sont la présence de l'UPIC, la machine à composer de Xenakis,
sur laquelle, comme à Lille, travaillent des élèves
du Conservatoire, des étudiants, des acteurs et des instrumentistes,
et la création, mercredi soir, d'une nouvelle uvre de Jean-Claude
Eloy, Yo-in, qui s'inscrit dans la ligne et au niveau de Shanti
et de Gaku-No-Michi, ces grandes uvres de méditations
électroniques très marquées par la mystique orientale.
À la musique sur bande s'adjoint cette fois un percussionniste
éblouissant: Michael Ranta, qui intervient en direct sur divers
groupes d'instruments, différents pour chaque partie, qui se mêlent
au discours préalablement enregistré utilisant les mêmes
instruments. Il y a là une "réverbération"
(c'est le sens de Yo-in en japonais) qui actualise, dramatise,
théâtralise l'uvre (avec des éclairages très
impressionnants) et l'incarne plus profondément.
Transcendance
Cette "musique pour
un rituel imaginaire" (qui dure trois heures quarante minutes) comporte
quatre parties: "Appel-imploration", "Unification",
"Méditation-contemplation", "Libération-célébration."
Tout l'univers est mis en branle par les résonances instrumentales
qui font vibrer la mémoire et les puissances intérieures
de l'âme, pour déclencher une certaine "expérience
transcendante".
Il est impossible d'évoquer ces longues périodes au souffle
immense, immobile, où le son se transforme insensiblement dans
un temps élargi aux dimensions d'une éternité, sans
que jamais l'attention fléchisse. À peine peut-on indiquer
les étapes.
De graves sirènes de bateau forment la trame captivante sur laquelle
vont résonner de majestueuses cloches de temple ("Appel-imploration")
à la mystérieuse essence inconnue de l'univers.
Au cur de la méditation
Puis, le percussionniste
se change en ouvrier, il scie, il perce, il verse des débris d'acier
dans des cuves sonores, au milieu d'une musique de machines stylisées
qui peu à peu s'harmonise avec des bruits de la nature, des chants
d'oiseaux, des sonorités de vibraphone, de marimba, des cloches
dans le vent. Les rythmes de l'homme et de la nature s'harmonisent, s'unifient
au lieu de se combattre.
Et l'on pénètre au cur de la "Méditation",
où de multiples clochettes enveloppent un poème dit en japonais:
"La grande paix s'approche, le temps s'immobilise." Pourtant,
comme dans Shanti, les tragédies du monde déchirent
avec violence cette méditation qui tend à la paix et à
l'unité: les longues résonances d'une bombe atomique se
mêlent à d'épouvantables tambourinages, aux cris des
victimes torturées (en une fresque d'ailleurs trop théâtrale
), aux manifestations de protestation stylisées qui peu à
peu ramènent la paix et la contemplation sur de grandes résonances
de bourdon grave.
En hommage à l '"opposant martyr", on allume un parterre
de cierges qui dessinent un idéogramme oriental; un vent violent
souffle à travers les haut-parleurs comme pour annoncer le départ
d'un vaisseau spatial, l'envol de l'être, peut-être vers une
transcendance qui refuse toujours de dire son nom.
JACQUES LONCHAMPT
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LE MONDE
Mercredi 25 février 1981
MUSIQUE
ELOY, FERRARI, PARMEGIANI
Réverbérations psychiques
Un événement
musical risque de passer inaperçu à Paris: Yo-In,
de Jean-Caude Eloy, récemment créé au Sigma
de Bordeaux (le Monde du 22 novembre), est pourtant une des uvres
majeures de ces dernières années. Mais elle est présentée
dans un lieu nouveau auquel le public n'est pas encore habitué,
la salle New-York du Musée d'art moderne de la Ville de Paris,
par une "structure" elle aussi nouvelle, "Musique en théâtre",
qui avait déjà accueilli il y a un mois Körpersprache,
de Schnebel, mais ne s'est pas encore constitué une clientèle.
Il reste deux jours (1) pour aller entendre cette "musique pour un
rituel imaginaire" qui met en scène un extraordinaire percussionniste,
Michael Ranta, dans une sorte de tour du monde en six lieux où
des familles d'instruments très divers "entrent en résonance"
(c'est le sens de Yo-In) avec une immense fresque électronique
de près de quatre heures, née elle-même de toutes
les "réverbérations psychiques" créées
par ces percussions: cloches de temples orientaux qui appellent à
une transcendance innommée, bruits de machines qui s'intègrent
aux instruments de bois évoquant la nature, clochettes chinoises
menant à la contemplation, tambourinage sur les peaux qui tout
à coup réveillent les drames de la cruauté, de la
torture, les luttes de l'humanité, avec un retour à l'appel
initial, qui demeure sans réponse. Cette uvre impressionnante
marque une étape dans la production de Jean-Claude Eloy vers une
expression plus théâtralisée, qui devrait aboutir
à l'"Opéra" de conception nouvelle dont rêve
ce musicien très solitaire, qui est certainement, à quarante-deux
ans, un "porteur d'avenir". [
]
JACQUES LONCHAMPT
(1) Yo-In est redonné ce mardi 24
et mercredi 25 février, à 20 h. 30, à la salle New-York,
entrée, 16, avenue de New-York (Alma-Marceau). La régie
sonore est de Guy-Noël Le Corre, la régie lumière de
Gérald Lafosse.
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LE MATIN DE PARIS
25 Février 1981
MUSIQUE
La critique de Claude Samuel
"Yo-in" de Jean-Claude Eloy
Le parcours immense d'un opéra imaginaire
Les trois heures quarante-cinq
minutes de Yo-in ne doivent pas décourager. Le rituel imaginaire
de Jean-Claude Eloy, présenté au musée d'Art moderne
de la Ville de Paris, prend son temps mais subjugue les explorateurs patients.
Il y a des uvres
longues qui sont vides. Il y a des uvres longues qui sont simplement
longues. Des premières, je ne parlerai pas. Quant aux autres, elles
ne se donnent pas d'emblée. Tout le monde vous le dira: pour apprécier
la Recherche du temps perdu, il faut déjà parvenir
à la fin du premier tome. Avec Yo-In (mot japonais qui signifie:
résonance, harmonique), la nouvelle uvre de Jean-Claude Eloy,
créée au dernier Sigma de Bordeaux, c'est un peu la même
chose.
La première heure paraît interminable, sans doute parce que
l'esprit résiste à tant de lenteur. Les longues tenues électroniques
évitent l'aspérité qui capte l'attention, et le dialogue
entre le matériau enregistré et le percussionniste Michael
W. Ranta - fantastique soliste qui, lui, résistera parfaitement
à l'immensité de la soirée - est d'une implacable
froideur.
Peu à peu, les événements prennent forme: irruption
de l'outil - du marteau à la perceuse - que Michael W. Ranta manie
avec la sûreté d'un spécialiste, multiplication des
percussions orientales, intrusion du "cri torture" et des "insultes
à l'oppresseur". La dernière image - car "Yo-in,
dit son auteur, est aussi un opéra imaginaire" et s'inscrit
dans une série intitulée "Musique en théâtre"
-, c'est la lueur vacillante d'une multitude de bougies. La dernière
bougie éteinte, la matière sonore s'efface insensiblement
et rien ne relance l'ultime appel du percussionniste.
C'est seulement une fois le temps écoulé que Yo-in
prend sa signification, rituelle sans doute et de connivence avec les
civilisations orientales. D'autres références ? J'ai songé
parfois an Stockhausen d'Alphabet pour Liège et de Sternklang.
Mais le parcours initiatique de Jean-Claude Eloy est trop personnel pour
assumer ce type de rapprochement. Et sa démarche prend courageusement
tous les risques, celui de ne concerner qu'un public restreint, celui
de décourager avant la fin. Les découragés précoces
ont tort: le discours interrompu perd son sens. Et les mélomanes
explorateurs, pour leur part, doivent tenter l'aventure.
CLAUDE SAMUEL
Dernière représentation de
Yo-in, à 20 h 30. De 14 h à 17 h : rétrospective
des uvres de Jean-Claude Eloy, Musée d'art moderne de la
Ville de Paris.
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LE NOUVEL OBSERVATEUR
22 Août 1981 n° 876
LA MUSIQUE
Par Maurice Fleuret
Dans l'il
du cyclone
En quatre heures de
temps, Jean-Claude Eloy a réinventé tout un opéra
de sons croisés, tout un théâtre de gestes
YO-IN
de Jean-Claude EIoy
Festival d'Avignon
Au milieu du cloître
des Célestins, deux platanes géants soutiennent la voûte
de la nuit. On dirait bien qu'un petit duc a fait son nid tout en haut
du feuillage. Son appel de détresse, et de tendresse aussi, aiguise
notre attention à intervalles réguliers.
Mais voici que d'autres oiseaux l'ont rejoint, dont le chant est plus
clair, plus pur encore si c'est possible, comme un bruit blanc électronique,
modulé dans l'aigu. L'uvre aurait-elle donc commencé
sans qu'on s'en aperçoive, parmi les sons divers qui nous parviennent
de la ville ? Car, justement, à le bien écouter, ce lointain
vrombissement amorti par la rosée est plutôt d'un tracteur
à l'aube dans les champs. D'ailleurs, peu à peu, le cri
du petit duc se fait corne de brume, et puis sirène de bateau,
et enfin trame de vibrations continues, trame de plus en plus épaisse
et riche, bientôt large autant qu'un fleuve, avec de troubles remous
harmoni-ques où l'on croit reconnaître parfois les accords
lents et graves du prélude de "l'Or du Rhin".
Le sabbat du quotidien
Alors, au pied des arbres, le faisceau
des projecteurs révèle un percussionniste en tunique blanche,
assis à l'orientale devant l'alignement des cloches rituelles.
Par deux fois, le prêtre-musicien frappe dans ses mains, comme pour
appeler le son de l'instrument, invoquer la résonance, réveiller
la mémoire. Mais c'est des haut-parleurs que lui vient la première
réponse, avant que de ses propres doigts il ose enfin lui-même
faire chanter le métal. Cet acte initial va se déployer
en un long rite d'incantation, en une calme ascèse de sonorités
étirées, que ponctue l'ample vibration des cloches de temple
japonaises, de différentes tailles, posées chacune sur un
coussin précieux, comme une sorte de calice qui renfermerait le
mystère du son, symbole de tous les autres mystères. Le
mouvement culminera, sous une lune immense, avec la plus grosse et donc
la plus grave de ces cloches, dont la voix littéralement tellurique,
d'autant plus impressionnante qu'elle etait attendue, semble répan-dre
des ondes si fortes et si denses qu'on croirait pouvoir les toucher.
En japonais, "Yo-In" signifie réverbération. C'est,
d'abord, la réverbération acoustique, notamment celle des
percussions métalliques, et celle qui s'établit souvent
ici entre le son instrumental direct et le son transformé que restitue
la bande magnétique. Mais c'est, aussi, la réverbération
mentale, psychique, avec le flux de la mémoire, ce flux irrégulier
qui suscite les correspondances, voire les interférences, entre
présent et passé. L'auditeur-spectateur sera donc au centre
de ces échos croisés, de ces reflets, de ce ressac, de ces
ombres portées, au cur du tourbillon immobile, dans l'il
du cyclone, à l'endroit précis où la multiplicité
des apparences explose d'elle-même par simple excès de pression
et laisse apparaître enfin la réalité absolue.
Or, à l'itinéraire transcendantal du premier acte, répond
maintenant, pour le deuxième, le grand sabbat du quotidien dans
un atelier de chaudronnerie. Vêtu du costume de la fonction, Michael
Ranta, le percussionniste-Protée, manie lime et marteau sur les
tôles, libère les stridences insoutenables de la scie circulaire
et fait jaillir un feu d'artifice de la meule électrique. Mais
ces violences, harmonisées et même sublimées par les
haut-parleurs, entrent spontanément en dignité musicale,
de même que, bientôt, la pluie de grêle et le vent de
sable que font les grains qui glissent sur la peau du tambourin, ou bien
encore les clapotis dans la bassine d'eau, les roucoulements sardoniques
du flexaton, les chocs de bambous des anklungs javanais..., tandis qu'un
orage éclate dans les lointains de la bande magnétique et
qu'une averse tombe dru sur un marais imaginaire.
Le troisième acte nous ramène à l'esprit, à
la concentration ou, plus exactement, à la contemplation, dans
le tintement des clochettes chinoises, des cymbales et des crotales, véritable
carillon céleste et abstrait de l'accomplissement. Mais le quatrième
et dernier volet commence par une terrible scène de torture, avec
plusieurs séries accélérées de grands coups
frappés brutalement sur la peau d'un tambour grave, puis les plaintes
et les cris des suppliciés, et les insultes qu'ils jettent au bourreau:
"Je te déteste, je te hais, sale chien, crève, crève
!", et tout cela sous les grincements vitrioliques d'un gong
zébré de profondes griffures.
Arrive alors, et de très loin, une vague, une lame de sons, une
coulée continue, qui s'approche avec lenteur et grandit, charriant
jusqu'à les dissoudre tous les rires et tous les hurlements des
hommes, tous les bruits des machines, tous les soupirs de la nature, toutes
les vibrations antérieures ou futures. On dirait le son général
de la création tout entière. Mais c'est un son vivant dans
la totalité de l'épaisseur, puissamment organique dans le
foisonnement. D'étranges spirales agitent sa matière liquide,
ce magma originel, ce plasma où la mort et la vie se confondent
et qui nous reporte donc au tout début du rite, dans l'attente
figée de "l'Or du Rhin", suivie par le geste d'appel
du célébrant.
Envoûtante magie
La boucle est bouclée, l'uvre
achevée, la messe dite. Je regarde ma montre pour la première
fois: il y a quatre heures que je suis entré dans le sanctuaire
et que je n'ai plus bougé de mon siège. À vrai dire,
aujourd'hui, bien peu de partitions sont capables, comme celle-ci, de
vous tenir en éveil si longtemps. Car on n'est pas maintenu par
la simple hypnose, par l'envoûtante magie des sons, par quelque
vertige planant comme on en a tant connus depuis l'avènement des
musiques répétitives. "Yo-In" n est pas terre
d'oubli mais domaine de la conscience.
Ici, une fois le temps distendu par les longues trames en évolution,
on se trouve bien plus disponible, et ouvert avec une extrême acuité
aux événements nombreux, précis et complexes qui
se succèdent, se superposent, s'imbriquent et se combinent dans
un développement admirablement maîtrisé. L'économie
de ce discours-fleuve affecte la juste durée qui convient à
chaque élément selon sa fonction, soigne les transitions,
ménage les repos, exalte les élans, et parvient finalement
à l'ample respiration naturelle par quoi se distingue une grande
forme accomplie.
Mais "Yo-In",
c'est aussi un opéra des sons, tout un théâtre de
gestes. Le rapport, qu'entretient constamment le percussionniste avec
ses centaines d'instruments européens ou asiatiques, procède
évidemment de l'action dramatique. Et la dialectique, qui s'instaure
peu à peu entre l'acoustique réelle et l'électro-acoustique
artificielle, n'est pas moins chargée de théâtralité.
Dans les deux cas, la chose n'est pas nouvelle mais seulement poussée
plus loin qu'elle ne l'avait jamais été jusqu'ici, et avec
une souplesse, un équilibre, une efficacité sans précédent
aucun. Voilà ce qui explique que personne n'ait vraiment souffert
de l'absence de la mise en scène prévue: Patrick Fleury
n'avait pas pu adapter ses panneaux amovibles, ses chariots, ses écrans
et ses projecteurs au décor de pierre du cloître des Célestins.
Mais, dans l'avenir, il ne faudra pas renoncer aussi facilement car il
est clair que, telle qu'elle se présente aujourd'hui, l'uvre
est porteuse d'une infinité d'interprétations visuelles,
scéniques, cinématographiques ou autres, par le seul fait
que sa substance musicale est assez cohérente dans l'abondance
pour supporter toutes les fantaisies.
Le privilège des chefs-d'uvre.
Enfin, je veux rappeler à tous ceux
qui n'ont pas eu la chance de voir et d'entendre "Yo-In" à
sa création au Sigma de Bordeaux en novembre dernier, à
sa reprise à Paris ou à sa présentation récente
au Festival d'Avignon, que cette uvre marque une date dans la carrière
de Jean-Claude Eloy et peut-être, aussi, dans l'histoire de la musique
occidentale de ces dernières années.
"Faisceaux-Diffractions", en 1970 et, surtout, "Kâmakalâ",
en 1971, avaient scellé les noces tardives de l'ex-élève
de Boulez avec le modèle oriental, découvert bizarrement
sur la côte ouest des Etats-Unis et poursuivi plus tard en Inde
et en Extrême-Orient. L'exemple de Stockhausen et la maîtrise
des moyens électroniques allaient permettre alors l'éclosion
d'une uvre méditative, aux proportions démesurées,
"Shânti", pour bande magnétique, en 1974. Mais
on attendait le résultat des travaux entrepris depuis 1978 par
Jean-Claude Eloy au sein de l'équipe d'informatique musicale que
dirige lannis Xénakis (1).Qui aurait pu se douter que "Yo-In",
court-circuitant et dépassant ces tendances, ces influences et
ces orientations, allait faire la synthèse de tous les acquis du
compositeur, et dans le seul jet de son invention la plus originale ?
À quarante-trois ans, Jean-Claude Eloy donne ici une uvre
de plénitude, où chaque détail compte mais où
l'ensemble atteint tout naturellement à l'universel. C'est, en
quelque sorte, son plafond de la Sixtine ou sa Neuvième Symphonie.
"Yo-In", enfin, est la première uvre, à
ma connaissance, qui explique et justifie par elle-même et sans
verbiage le retour endémique à la tonalité, qu'on
observe depuis au moins cinq ans chez presque tous les compositeurs en
activité. Elle le fait par la simple illustration de son sujet:
la réverbération, la résonance, les harmoniques qui
s'ensuivent et tout ce processus qui, de Guy d'Arezzo à Ernest
Ansermet, a servi de démonstration à qui voulait prouver
le bien fondé du système tonal. Mais l'uvre de Jean
Claude Eloy n'est pas vraiment tonale. Elle ne craint pas, ici ou là,
de l'être un instant ou de le paraître, comme elle ne refuse
pas, ailleurs, d'être tout autre chose. C'est le privilège
des chefs-d'uvre que d'offrir à chaque regard un visage différent
mais pourtant bien réel.
MAURICE FLEURET
(1) Cemamu (Centre d'Etudes de Mathématique
et d'Automatique musicales).
Ce texte à été reproduit
dans le livre :
"Maurice Fleuret ; chroniques pour la musique d'aujourd'hui"
publié aux éditions Bernard Coutaz (1992)
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KÖLNER STADT-ANZEIGER
Vendredi, 18 septembre 1981
Bain relaxant dans les sons
Musique du Temps ("Musik der Zeit") au WDR :
lopéra imaginaire " Yo-In " de Jean-Claude Eloy
par Gisela Gronemeyer
La représentation de "Yo-In",
l "opéra imaginaire" de Jean-Claude Eloy, a duré
près de quatre heures au Conservatoire de musique de Cologne (Kölner
Musikhochschule). Sur scène, cest un Michael Ranta solitaire
qui sest produit au milieu de son arsenal complet de "percussions
asiatiques", exécutant des rituels de percussion sur des sons
enregistrés sur bande magnétique. Musique du Temps ("Muzik
der Zeit") au WDR.
Lidée découter quatre heures de musique nouvelle
peut faire peur; la réalité sest toutefois montrée
très agréable. Loeuvre est loin davoir rencontré
un succès aussi franc à Cologne quen France où
elle avait été présentée lautomne dernier
en avant première, mais ce qui sest passé là
bas nest somme toute pas si important.
Le compositeur français, qui sinscrit clairement dans la
lignée de Stockhausen, présente le cosmos humain, sa nature
et son règne, en quatre actes quil caractérise de
rituel dimploration, dunification, de méditation et
de libération. Ces processus sont traités de manière
très concrète dun point de vue sonore: le grand chant
dimploration provient dun son de sirène de bateau unique;
on assiste, pendant lunification, à la rencontre de bruits
de machines et de sons naturels et électroniques, tandis que le
percussionniste utilise un chalumeau. La méditation est essentiellement
marquée par le son du gong et des clochettes, et la libération
débute sur des cris de torture.
Eloy a du matériel concret, dont de nombreux sons de percussion
enregistrés sur bande magnétique et traités électroniquement.
Le soliste sintègre à cette musique de haut-parleurs;
il la fait vivre et la dramatise. Cest également le sens
du mot japonais "Yo-In" qui signifie "écho, son,
harmonie".
La composition réalisée sur bande magnétique est
on ne peut plus raffinée; on baigne vraiment dans les sons, et
la disposition entière de la pièce a trait aux qualités
et préférences du percussionniste Michael Ranta, comme si
elle en était marquée au fer rouge. Toute la représentation
a un effet relaxant, réparateur, et lauditeur quitte la salle
serein.
GISELA GRONEMEYER
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