GALAXIES
Presse (Français)
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SUD-OUEST
Samedi 9 Novembre 1996
JEAN-CLAUDE ELOY
Le tailleur de sons
Roch Bertrand

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SUD OUEST
LUNDI 11 NOVEMBRE 1996
SIGMA 32
Jean-Claude Eloy
Roch Bertrand

  GALAXIES
Presse (Français)
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SUD-OUEST
Samedi 9 Novembre 1996
JEAN-CLAUDE ELOY
Le tailleur de sons

Le compositeur Jean-Claude Eloy vénère la voix et l'abrite dans des contrées sonores. Trois concerts différents invitent à la découverte de ses terres inconnues.

par Roch Bertrand

La dernière fois qu'il est venu à Sigma, c'était en 1986. Il avait alors présenté "Anâhata", une œuvre qui faisait appel à des musiciens traditionnels japonais. Dix ans plus tard, Jean-Claude Eloy revient à Bordeaux. Et si la culture orientale ne l'a pas quitté, elle semble cependant ne plus s'imposer à lui de la même façon: elle reste en élément de référence.
Élève pendant les années 60 de Pierre Boulez, il lui fallut ensuite prendre sa liberté. C'est avec l'appui de Stockhausen qu'il aborde la création électroacoustique, lui qui jusque-là appartenait au post-sérialisme. "Peu à peu, j'ai ressenti le besoin d'intégrer des êtres vivants à ma musique, raconte Jean-Claude Eloy, mais pas de n'importe quelle façon. Je voulais des musiciens non standardisés, créatifs. "Yo-In" que j'ai présenté en 80 à Sigma, résultait d'une rencontre avec un percussionniste américain qui possédait des instruments asiatiques particuliers et offrait ainsi une situation instrumentale exceptionnelle. Mon intérêt s'est aussi porté sur les voix et plus particulièrement sur celles des femmes, qui, dans le domaine de l'exploration technique, sont nettement plus créatives que les hommes."
Bien que la curiosité sonore le passionne, l'univers de Jean-Claude Eloy n'est pas restrictif: "J'ai plaisir de temps à autre à composer pour des gens "normaux". J'ai d'ailleurs choisi délibérément trois chanteuses très différentes dont une soprano, tout à fait classique. Je suis assez dialectique pour apprécier une chose et également m'intéresser à son contraire."

SOLO VOCAL
Deux versions d'une œuvre intitulée "Galaxies" seront présentées, élaborée à partir de quelques sons concrets, notamment empruntés au shô, instrument traditionnel japonais de la famille des orgues à bouche. "Ces sons ont été échantillonnés et retravaillés en studio de telle sorte qu'ils sont méconnaissables, dit le compositeur.
Je les ai utilisés comme on se sert d'un tissu, parce qu'ils rendent bien et que leur apport acoustique m'apparaissait généreux et intéressant." Ce travail sur la texture sonore n'est toutefois pas fermé à un apport plus traditionnel: "Je me sers parfois de complexes harmoniques d'une certaine précision. "Galaxies" est le mélange de ces deux extrêmes."
La version Varsovie de " Galaxies " est seulement électroacoustique. En revanche, dans la version Sigma, Jean-Claude Eloy a inséré un grand solo vocal: "La voix est confrontée à l'immensité du son électroacoustique; la solitu-de de l'homme face à l'univers."La partie vocale sera interprétée par Junko Ueda, qui utilise deux techniques vocales, celles du Shomyo, équivalentes de ce qu'est le plain-chant en Occident, et qui est plutôt grave, et une autre indonésienne, qui met en valeur une voix de tête et nasale. On la retrouvera également dans "Erkos". "Pour cette pièce, toute l'électroacoustique tourne autour de la chanteuse.
À partir d'elle, je fabrique des orchestres où foisonne en multitude sa propre voix."
Composer n'est pas un acte gratuit pour Jean-Claude Eloy: "Il révèle une façon de penser le monde", dit-il. À chacun maintenant de les découvrir.

ROCH BERTRAND

* Ce soir et demain soir, à 2Oh3O,
et le lundi 11 novembre, à 19 heures,
au hangar 5.
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SUD OUEST
LUNDI 11 NOVEMBRE 1996
SIGMA 32
Jean-Claude Eloy

par Roch Bertrand

Entrelacement d'arches sonores infinies, d'une matière froide et sourde, dont on devine qu'elles sont invisiblement liées les unes aux autres. "Galaxies", version Varsovie, de Jean-Claude Eloy, est une cathédrale électroacoustique dressée à la gloire de l'inconnu. L'âme s'y perd. Et quand parfois elle croit s'y retrouver, et peut-être s'y abriter, c'est à nouveau cette solitude grinçante qui l'enva-hit. Des cliquetis d'horloges désorientées font espérer l'espace d'un instant que la temporalité existe encore dans ce voyage interminable; mais leurs rires arrogants ne sont que la résurgence d'une vaine matérialité. L'être n'en finit plus de se chercher dans cet univers qui inexorablement tisse sa toile, mû par des lois impénétrables.
Comme remède à l'angoisse suscitée: le recueillement. Il permet non la résignation, mais l'acceptation d'être l'infime partie d'un tout, duquel s'émane le chant sublime et inquiétant de l'absolu; vaste fresque où l'homme est bercé par l'incessant va-et-vient, doux et glacé, de marées cosmiques, dont le flux et le reflux se confondent à tout jamais.
Fluidité aussi dans "The Consecrating Mother". Pour ce poème de l'Américaine Anne Sexton, Jean-Claude Eloy baigne la voix "parlée modulée", celle de Valérie Joly, dans une eau électroacoustique au bruissement saccadé et composite. Mise en exergue d'un texte dont le sens échappe à celui qui ne connaît pas la langue mais qui, en revanche, intrigue par ses reliefs qui revêtent le chant d'une aura à la fois naïve et mystique.
Poésie toujours, avec "The Mirror" de Mabel Dodge-Luhan, autre extrait de "Several American Women". La voix de la soprano Mieko Kanesugi semble se regarder dans les vibrations d'un miroir sonore. Reflet convoité avec lequel elle joue et qu'elle tente de rejoindre, grimpant le long d'un fil ténu autour duquel se dessine une mélopée incantatoire. Puis le chant se tait. Apparaît alors la conclusion électroacoustique pleine d'une superbe désolation.

ROCH BERTRAND

Samedi soir, mais également ce soir, à 19 heures, avec "Galaxies",
au Hangar 5.