GAKU-NO-MICHI
Presse (Français)
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LE MONDE
Mardi 11 Juillet 1978
Musique contemporaine à lla Rochelle
Jean - Claude Eloy
et la voie orientale
Jacques Lonchampt
*
L'HUMANITE
Mardi 11 Juillet 1978
La ville contre la méditation
Jean-Claude Éloy propose un univers musical pas seulement sonore
Jean-Louis Martinoty
*
LE MATIN DE PARIS
12 Juillet 1978
Une uvre qui dépasse la mesure
Brigitte Massin
*
LE NOUVEL OBSERVATEUR
Lundi 17 juillet 1978
MUSIQUE
Vent d'est
à
La Rochelle
Quand la musique s'enrichit d'un certain regard sur l'Orient quotidien
MAURICE FLEURET
*
TELERAMA
LE MONDE DE LA
MUSIQUE
JANVIER 1979 N¾ 7
Pour Eloy salle Wagram apportez vos coussins
Anne Rey
*
LE MATIN DE PARIS
13 JANVIER 1979
SALLE WAGRAM
Gaku-No-Michi
de Jean-Claude Eloy
Brigitte Massin
*
LE MONDE
14 et 15 Janvier 1979
"GAKU NO MICHI"
de Jean-Claude Eloy
Jacques Lonchampt
*
MIDI TV LOISIRS
1980
J.-C. ELOY
GAKU-NO-MICHI
"Les voies de la musique"
R.-A. Lacassagne
*
LE MONDE
Mardi 8 Janvier 1980
"GAKU-NO-MICHI"
de Jean - Claude EIoy
Les voies de la musique
Jacques Lonchampt
*
NRC HANDELSBLAD
(Pays-bas)
Mardi 21 octobre 1980
Eloy prend tous les risques
avec Gaku-No-Michi
Ernst Vermeulen
*
UNO MÁS UNO
(Mexico-city)
21 Août 1981
Eloy : "La musique : un conflit entre Orient et Occident"
Patricia Cardona
*
1982
10e anniversaire
FESTIVAL D'AUTOMNE À
PARIS 1972-1982
JEAN-CLAUDE ELOY
Une voie de la connaissance
Jean-Pierre Léonardini
*
NEUE ZEITSCHRIFT FÜR
MUSIK
23 Janvier 1992
Voix solistes de moines bouddhistes
Les "Inventionen" berlinoises présentent
l'électronique d'Eloy et l'art du violon de Cage
Werner Schönsee
*
LE MONDE DE LA MUSIQUE
n° 18 - Décembre 1979
Les entretiens du Monde de la Musique
JEAN-CLAUDE ELOY
TOKYO
VILLE
ORCHESTRE
Jean-Claude Eloy, compositeur
Chris Marker, cinéaste
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GAKU-NO-MICHI
Presse (Français)
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LE MONDE
Mardi 11 Juillet 1978
MUSIQUE CONTEMPORAINE A LA ROCHELLE
Jean-Claude Eloy et la voie orientale
Après la disparition,
sans doute définitive, hélas ! de Royan, La Rochelle reste
le seul festival de musique d'avant-garde en France. Pourtant, les Rencontres
de cette année, malgré l'ingéniosité de Claude
Samuel, n'offraient pas pour l'avenir des perspectives très souriantes:
le nombre des concerts s'était réduit, les premières
auditions ont paru décevantes et l'on n'a pas découvert
d'étoiles nouvelles. Seules, en définitive (en dehors de
musique Indienne de haut niveau), les journées Jean-Claude Eloy
auront marqué ces Rencontres, sans oublier que cette "valeur
sûre" a quarante ans et qu'elle est reconnue depuis quinze
ans.
Mais durer, se développer, marquer l'évolution de son époque
est plus difficile sans doute que de révéler un talent tout
neuf aux chercheurs extasiés de nouveaux génies. Et Jean-Claude
Eloy est l'un des seuls compositeurs de sa génération qui
s'engage avec conviction et enthousiasme dans une direction neuve (encore
qu'il ait été précédé dans cette voie,
quoique moins systématiquement, par des compositeurs tels que Cage,
Pierre Henry ou Stockhausen), celle qu'il nomme avec un peu d'emphase
l' "intercontinentalisme systématique".
Dans le beau texte, presque un manifeste, qu'il a donné au programme
de La Rochelle, il écrit, entre autres: "De même selon
toute probabilité, l'homme planétaire futur sera de type
eurasien, diversement métissé (par un monde noir en majorité),
de même la culture de cet homme et donc sa musique seront la prolongation
des différentes civilisations musicales, entrecroisées à
de nombreux degrés, même si cela s'exprime à travers
une technologie musicale toute nouvelle". Son évolution (1)
se poursuit en tout cas dans ce sens: le brillant disciple de Pierre Boulez
(Etude III, Equivalences) s'est séparé de son maître,
en qui il s'étonne de reconnaître aujourd'hui le "chevalier
croisé des valeurs occidentales" pour chercher les Voies de
la musique (traduction du titre de sa dernière uvre Gaku-no-Michi)
dans une intégration du potentiel oriental, évidente depuis
Kâmakalâ (1971) et Shânti (1974), qu'on a réentendus
à La Rochelle.
Présenté sous la forme d'un enregistrement, Kâmakalâ
nous a paru beaucoup plus intéressant et significatif que lors
des deux premières auditions à Paris - sans doute parce
que cette vaste composition fondée sur un continuum sonore qui
s'amplifie, sans cesse, à partir du son le plus élémentaire,
est d'une unité, d'un mode de composition qui s'apparentent à
ceux de la musique électronique (les ressemblances de style avec
Shânti sont frappantes) - alors qu'au concert, l'attention s'éparpillait
à guetter l'énorme effectif de production (trois orchestres
et cinq churs) où chacun n'avait souvent pas grand-chose
à faire.
Ecouté comme un phénomène sonore unique en pleine
expansion, Kâmakalâ prend toute sa dimension mystérieuse,
quasi mystique (avec son modèle tibétain) et apparaît
comme la première de ces vastes tentatives d'Eloy dans un monde
de mutation, de transformation de l'homme, car il abandonne ce principe
du "divertissement" qui reste le "produit de marché"
de la musique contemporaine et dont Eloy ne veut plus; "Car, dit-il,
essayer d'entendre autrement, jusqu'à la découverte en soi
de niveaux d'écoute insoupçonnés, de capacités
plus larges, c'est aussi finalement aider l'être à comprendre
autrement, à sentir différemment. Rejeter le pouvoir des
sons sur la conscience de l'homme, ce serait aussi rejeter le pouvoir
des mots, de la vision, l'élimination de la poésie."
(1) Le Monde des 28 octobre 1971, 7 mars
et 8 novembre 1974.
La forme donnée à ces journées
de "Carte blanche à Jean-Claude Eloy" ne correspondait
pas tout à fait à cette conception musicale très
intense et profonde. Pour indiquer les tenants et aboutissants de sa personnalité
et présenter un programme varié, on avait réuni trop
de séquences différentes, passant d'Eloy à Boulez,
d'un récital de sitar à Bartok pour retrouver ensuite les
Dhrupads des frères Dagar, faisant un détour par le groupe
de musique répétitive Urban Sax, avant d'accoster au Japon
avec Takemitsu (parfaitement interprété par Marie-Françoise
Bucquet), etc.
Ce kaléidoscope trop contrasté, dont chaque fragment était
fort intéressant en lui-même, détruisait un peu les
capacités de concentration de l'auditeur. Ce n'était certes
pas des conditions idéales pour entrer dans la grande méditation
sur la paix de Shânti, renvoyée à une heure avancée
de la nuit, bien qu'elle fût précédée par un
agréable dîner indien et un concert excellent, équilibré
et éblouissant de l'Orchestre philharmonique de Lorraine, toujours
sous la direction de Michel Tabachnik.
La création de Gaku-no-Michi (commande du ministère de la
culture et de la fondation Gulbenkian) bénéficiait cependant
de conditions meilleures, toute la soirée de dimanche lui étant
consacrée. Cette grande uvre électro-acoustique de
plus de deux heures, réalisée dans les studios de la radio
japonaise, est plus abstraite encore que Shânti. Pendant dix minutes
à peine, on contemple un paysage sonore de Tokyo, bruits et sons
captés dans des magasins, des autobus, le métro, une gare,
bruits affairés, sonnettes, voix, dominés par de très
beaux sons de cloches, dans un tempo assez calme. Ce paysage sonore nullement
tragique et obsédant, peu à peu se fond dans l'abstrait.
La méditation ne se nourrit plus alors que de la variation infinie
de ces vibrations sonores, évoluant sans cesse à travers
ses textures électroniques toujours renouvelées, qui montent,
planent, se croisent, luttent d'intensité, et disparaissent lentement
derrière de nouvelles figures, le plus souvent semblables à
des ronflements de moteurs au spectre sonore plus ou moins chargé.
Peu d'événements en tout cela: parfois un conflit dramatique,
parfois des bruits plus caractéristiques, comme un feu qui crépite
ou un vol d'hélicoptère, parfois un retour vers quelques
allusions explicites, tels ces rythmes de cloches graves, pleins de majesté,
qui ramènent de grandes rumeurs, comme de mystérieuses verrières,
et concluent la première partie sur une sorte de cérémonial
très impressionnant. Ou bien, ces voix immobilisées montant
imperceptiblement en glissando, au début de la seconde partie,
qui cèdent la place à une gigantesque variation d'un quart
d'heure sur des sons d'octave qui se déforment et se reforment
à travers toute l'échelle sonore, point culminant de l'uvre.
On retrouvera vers la fin d'admirables sonorités de cloches, aux
figures rythmiques très belles mêlées aux bruits étonnants
des sandales de bois des prêtres dans un temple de Kyoto.
Mais une telle uvre ne se décrit guère. On imagine
cependant le talent d'Eloy capable de soutenir l'intérêt
et d'aiguiser l'attente, tout au long d'un processus sonore aussi radical
et austère, même si la durée en semble excessive,
au moins dans une salle peu confortable.
"Dans notre métier (d'organiste), disait Jehan Alain, gare
à l'extase facile !" Avec une demi-heure de moins, Gaku-no-Michi
ne perdrait sans doute rien de "l'envoûtement très progressif,
de l'immersion dans une durée illimitée" qui est, pour
Eloy, l'une des conditions de "la voie de la musique vers la connaissance".
JACQUES LONCHAMPT
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L'HUMANITE
Mardi 11 Juillet 1978
La ville contre la méditation
Jean-Claude Éloy propose un univers musical
pas seulement sonore
Ce fut l'évènement
des Rencontres: deux journées offertes à Jean-Claude Eloy
(né en 1938), un large panorama des uvres et des idées
du marginal de la musique contemporaine française, qui s'est exilé
dans les studios de Cologne et Tokyo et ne dissimule pas ses griefs à
l'égard des institutions françaises. Disons très
simplement que J.-C. Eloy est peut être (avec toutes les réserves
d'usage) le seul musicien français de sa génération
à proposer un univers musical, et non pas seulement sonore, "autre".
Cet "ailleurs", qui pourrait apparaître comme la musique
profonde des années 70
Parti avec "Equivalences" (1963) des positions post-sérielles
de l'école Boulez, Eloy ressentait déjà que la musique
n'était autre qu'organisation du temps, l'écriture des durées:
ces valeurs horizontales pouvant l'emporter sur l'écriture harmonique
et le contrepoint, c'est-à-dire les valeurs verticales qui font
la loi de la musique occidentale jusqu à nos jours.
Prenant conscience de 1966 à 1970, particulièrement par
ses travaux à Berkeley en Californie, des immenses possibilités
qu'offre l'exploration des musiques dites "orientales" et surtout
de leur totale immersion dans la perception du temps, il y trouvait des
affinités avec ses propres exigences d'écriture, son goût
pour les grandes ondes sonores glissant les unes sur les autres, se fractionnant,
se développant en rubans infinis. Sans pause ni silence.
Grain sonore
Avec la découverte des infinies possibilités de la technique
électro-acoustique et des analogies de structure profondes entre
les matériaux électroniques et l'écriture acoustique
de ses partitions orchestrales, Eloy parvient aux deux chefs d'uvre
du genre: "Shânti" (1974 à Royan), manifestement
inspiré des modes de l'Inde, et "Gaku-No-Michi", créé
à La Rochelle dimanche soir.
Cette dernière partition, d'une maîtrise profonde dans le
déroulement d'immenses anneaux de musique, d'une qualité
plastique et d'une imagination sonore encore inconnues dans l'électro-acoustique,
venait, devant une poignée de fidèles, en conclusion des
deux journées très remplies qui avaient développé
les affinités d'Eloy: avec les musiciens de l'Inde (admirable concert
des frères Dagar) et avec les musiques répétitives
occidentales comme l'ensemble des 30 saxophonistes "Urban-Sax",
un continuum sonore surgi de toute part, et dont on pourra juger des sonorités
inouïes à la fête de "l'Humanité".
"GAKU-NO-MICHI" ("la voie des sons et de la musique")
est divisé en deux parties:
"TOKYO" (49 minutes) est sans doute la plus tourmentée
et éclatée musique qu'on connaisse d'Eloy: tous les bruits
de la ville de Tokyo, métro-usines, rues, etc. combinés
aux bruits et chants des cérémonies traditionnelles du Japon,
concourent à une matière sonore profondément originale
où l'on perçoit la violence exercée par la ville
sur l'esprit de méditation. L'uvre glisse à la fin
vers une synthèse des deux types de son, vers unes sublimation
abstraite de la ville dans la musique.
"FUSHIKI" (76 minutes) ("vers ce qui n est pas connaissable")
présente par contre cette immobilité de la contemplation
intérieure avec des sons issus des bruits du théâtre
Gagaku, des cris du Nô, des claquements des sandales des prêtres.
Le tout très élaboré jusqu'à en être
méconnaissable, mais possédant un "grain" sonore
très original, tout comme ces cloches tibétaines totalement
fabriquées électroniquement, plus envoûtantes que
les vraies, qui accompagnent l'immense tenue de la fin de l'uvre
en un mouvement tournant, hypnotique jusqu'à ce que les échos
en résonnent longtemps encore après la fin de l'uvre.
La nuit qui mit deux heures à descendre à travers les verrières
de la salle des sports donnait l'échelle métronomique de
cette partition d'une autre dimension, comme un chef d'orchestre à
la battue immense.
JEAN-LOUIS MARTINOTY
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LE MATIN DE PARIS
12 Juillet 1978
Une uvre qui dépasse la mesure
Le Festival de La Rochelle
a pris fin sur deux belles journées consacrées au compositeur
Jean-Claude EIoy (samedi et dimanche derniers). Rien n'est plus passionnant
qu'un cheminement de cet ordre autour d'une personnalité, de sa
création et des choix qu'il propose. Bien des événements
musicaux vécus au cours de ces rencontres musicales prenaient là
tout leur sens, ainsi de la présence des musiques traditionnelles
de l'Inde, comme des uvres du compositeur japonais, Toru Takemitsu.
C'est au Japon, en effet, et avec les Japonais que Jean-Claude Eloy a
travaillé à sa dernière uvre électro-acoustique,
présentée pour la première fois dans le dernier "moment"
des Rencontres de La Rochelle. Jean-Claude Eloy a une pensée militante
qui préside à sa création: celle de libérer
la durée. Toutes ses dernières uvres le laissaient
déjà prévoir, Shânti, ou Fluctuante Immuable
notamment, qu'on a pu réentendre au cours de ces journées.
Gaku-No-Michi atteint à ce but. L'uvre, à partir d'un
matériel sonore d'une très grande beauté (sons concrets
et sons électroniques), engendre son propre temps. Peut-on, dès
lors, parler de longueur (deux heures !), c'est si simplement un temps
autre que Jean-Claude Eloy nous donne à comprendre comme il vit,
et au cours duquel la perception s'affine, l'abstraction se fait de plus
en plus grande. Au terme de la trajectoire, les sons concrets ont ainsi
totalement disparu !
Dans les choix de Jean-Claude Eloy, il faut retenir les pièces
pour piano de Takemitsu, si bien défendues par Marie-Françoise
Bucquet, qui témoignent de la subtilité de l'univers intérieur
du compositeur; et les sonorités merveilleuses de tous les saxophones
que font sonner les trente jeunes gens du groupe Urban Sax. Mais c'est
aussi la présence de l'Inde qui aura marqué ces rencontres.
Une autre manière également de vivre la durée ! Qu'il
s'agisse de suivre Kalyani Roy au sitar ou le chanteur Pandit Jasraj ou
les frères Dagar, c'est chaque fois la même émotion
(une superbe représentation des musiques de l'Inde du Nord). Ici,
le terme "rencontre" prend tout son sens: la durée liée
à la musique, le geste si important lié au sens caché
de la phrase musicale... et pour le public passionnément intéressé
de La Rochelle la rencontre à un très grand niveau de qualité
du monde inconnu de l'Extrême-Orient.
Une dernière mention pour ces Rencontres: la présence aussi
trépidante que musicale de Katia et Marielle Labèque, qui,
de jour et de nuit, étaient de toutes les fêtes; et la venue
de l'Orchestre philharmonique de Lorraine, dirigé par Michel Tabachnik
qui, de Mahler à Stravinski, à Eloy ou Takemitsu a prouvé
qu'il pouvait tout aborder. Un orchestre en progrès continu...
les Lorrains ont bien de la chance !
BRIGITTE MASSIN
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LE NOUVEL OBSERVATEUR
Lundi 17 juillet 1978
MUSIQUE
Vent d'est à La Rochelle
Quand la musique s'enrichit d'un certain regard sur
l'Orient quotidien
La disparition du festival
de Royan n'a pas simplifié la vie musicale en Charente-Maritime.
Les Sixièmes Rencontres internationales d'Art contemporain de La
Rochelle, à dominantes indienne et japonaise, se déroulent
aux mêmes dates que le Septième Festival international de
Saintes, à constante espagnole: en tout, une trentaine de manifestations
par jour deux semaines durant. Il est vrai que chacune de ces institutions
a, en principe, sa spécialité. Mais, en Aunis, on voudrait
que les Rencontres puissent venir en aboutissement d'une action permanente
prise sur le modèle de Saintes (et c'est d'ailleurs pourquoi la
Maison de la Culture de La Rochelle boycotte cette année les Rencontres).
Et, en Saintonge, où l'on rêve de la polyvalence et des audaces
rochelaises, les programmes quittent souvent la musique ancienne pour
le théâtre (avec Peter Brook, notamment) et pour la musique
contemporaine (avec Luis de Pablo, Cristobal Halffter, Maurice Ohana,
surtout). Que dire, en effet, d'une "Journée Ohana",
à Saintes, qui tombe en même temps qu'une "Journée
Eloy", à La Rochelle ! Quand la rivalité séculaire
entre le nord et le sud du département entraîne ce genre
d'aberration, il est temps de tout repenser. Les élus des deux
villes en sont tombés d'accord.
En attendant, un long vent d'est a soufflé sur les musiques des
Rencontres. Il y a longtemps, en France, qu'on n'avait entendu un si grand
nombre de musiciens indiens de cette qualité. En particulier, le
pandit Jasraj et les nouveaux frères Dagar, chanteurs de haute
tradition, nous rappellent fort opportunément qu'en Inde comme
ailleurs, l'art de référence, l'art suprême, c'est
toujours celui de la voix.
On sait, depuis "Kâmakalâ", pour churs et
orchestre (1971), et depuis "Shânti", pour bande magnétique
(1974), que Jean-Claude Eloy est l'un des plus sérieux, des plus
authentiques parmi les créateurs qui ont ressenti l'impérieux
besoin de relativiser l'Occident. Son "pèlerinage aux sources",
son "retour à l'évidence", s'est d'abord accompli
en Inde. Il y a puisé surtout ce sens du temps libéré
par quoi il peut renouer enfin avec la grande forme. Suivant un peu l'exemple
de Karlheinz Stockhausen, il passe maintenant de l'Inde au Japon et nous
donne, avec "Gaku-no-Michi" (littéralement : " les
Voies de la musique "), une nouvelle et gigantesque fresque électro-acoustique
de deux heures d'horloge, pleine d'un Japon quotidien ou rituel, actuel
ou millénaire, dont on sent bien qu'il le comprend dans les profondeurs
et l'aime d'amour vrai.
Mais, cette fois, c'est moins une longue et imprécise méditation
sonore qu'une vision en perpétuel développement, un "film
sans images", confesse-t-il. Cette attitude, qui refuse la pure combinaison
des sons pour eux-mêmes, est aussi - mais avec des résultats
différents - celle d'un Luc Ferrari ou celle d'un François-Bernard
Mâche. Il est clair que la génération arrivée
aujourd'hui à la maturité de la quarantaine jette un regard
plus net, plus droit, plus humain sur le monde.
En tout cas, on peut constater que, au feu de ses expériences récentes,
Jean-Claude Eloy ne craint pas de se refaire toute une généalogie.
Bartok, Mahler, le Webern adolescent de "Sommerwind", le Boulez
abstrait des "Structures", Varèse le prophète,
Takemitsu le poète des paysages mouillés et même le
groupe répétitif Urban Sax et ses vingt-cinq saxophones
de toutes les tailles... il y a là, effectivement, des tendresses
sinon des parentés qu'il est sympathique d'avouer. On préférera
toujours un musicien qui dit ce qu'il aime à un musicien qui clame
ce qu'il n'aime pas.
Une fois encore, l'Orchestre philharmonique de Lorraine a triomphé
de toutes les difficultés. Michel Tabachnik en fait un instrument
non seulement docile et précis mais engagé, ardent à
faire chanter les sonorités inouïes. C'est rare et beau.
MAURICE FLEURET
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TÉLÉRAMA
LE MONDE DE LA MUSIQUE
Janvier 1979 n° 7
Pour Eloy salle Wagram apportez vos coussins
ELOY l'apatride. Eloy,
quarante ans. espoir confirmé (et au-delà !) de la jeune
musique française. Eloy toujours entre deux succès, entre
deux pays, entre deux avions. Eloy exigeant, râleur, prêt
à claquer les portes, pas resigné, malgré les apparences,
à jouer les perpétuels exilés. Après le Conservatoire,
après Darmstadt, après les cours de Boulez à Bâle,
il lance un "J'accuse" mémorable dont tremblent encore
les institutions nationales: non, la création musicale, en France,
n'est ni aidée ni viable.
Depuis. il a bourlingué. Inde. Japon. Chine. Indonésie.
Brésil... un grand voyage dans des Orients sonores. Il prône
- tout un programme - un "internatio-nalisme systématique"
dont se ressentaient déjà des oeuvres comme Equivalences
(1963) et Kâmakalâ (1971). Dans les cénacles et les
festivals d'avant-garde, certains voudraient bien nous le ramener plus
longtemps, lui qui ne reste que le temps d'une création, d'une
"journée", d'une "carte blanche". Il ne dit
pas non. Il n'y met pas les formes. Il déplore à haute voix
la concentration galopante des pouvoirs culturels: tous les équipements
dans le même panier, tous les chercheurs dans la même tour
d'ivoire... suivez son regard. Le pire, c'est qu'il n'a peut-être
pas tort, qu'il sait ce dont il parle. Les méfaits de la bureaucratie
hexagonale, il les a mesurés à ses dépens.
En 1972, dans les studios de Cologne, il travaille à Shânti
et réalise cent trente-cinq minutes de "musique de méditation"
pour bande magnétique quatre pistes, sa première oeuvre
électroacoustique. A leur tour, les Japonais l'hébergent.
A Tokyo, il compose Gaku-No-Michi, gigantesque traversée - plus
de trois heures et demi - des sons concrets jusqu'à leurs dérivés
abstraits, et retour. Il se résigne à des durées
plus occidentales pour honorer une commande de l'Orchestre de Paris...
qui massacre la création de Fluctuante-Immuable. A nouveau, il
enrage. L'oeuvre enregistrée a décidément ses vertus.
Les bandes magnétiques, c'est immuable, c'est léger, ça
se transporte dans une valise : ses musiques dans sa musette, Eloy joue
les Woody Guthrie de l'électroacoustique. Il propose aux Goethe
Instituts, aux universités, ses services de compositeur aux idées
larges et à la parole facile. Ces institutions internationales
sautent sur l'occasion. Leurs antennes le promènent de Sao Paulo
à Djakarta et de Bandung à Rio de Janeiro. Partout, il constate
la même soif de s'initier et d'entendre. Partout. les débats
sont interminables. Quatre cent cinquante Chinois de Hong Kong découvrent
grâce à lui et Shânti une langue musicale totalement
étrangère. Tous ne désertent pas. Beaucoup veulent
en savoir plus. En deux jours, à Bandung, deux mille étudiants
entendent ses musiques. Finalement, c'est plus facile qu'à Ivry
et qu'à Saint-Étienne.
Eloy est revenu de là-bas la tête pleine de souvenirs, plutôt
optimiste. Et il le prouve. Avec la collaboration du Festival d'automne
(qui, pour lui, fait une rallonge à ses programmes), il loue pour
un soir la salle Wagram et balance aux oreilles d'un public totalement
hypothétique cette grande brassée de sons et d'impressions
japonaises que sont les deux parties enchaînées de Gaku-No-Michi
(1). L'occa-sion de suivre des "voies de la musique" (c'est
le sens du titre) qui sont "les voies de la conscience à travers
les sons".
"J'espère ainsi rencontrer un public neuf dit Eloy. Il nous
faut neuf mille francs de recettes pour recouvrir l'essentiel des frais.
Ça représente un bon paquet d'entrées payantes !
Mais que les gens le sachent bien: si l'acoustique de la salle Wagram
est excellente, nous n'avons pas les moyens de la rendre confortable.
Que chacun apporte son coussin !"
Il dit aussi : "Je ne peux plus faire de la musique sans y intégrer
ce que le fais, ce que je vois, ce que je vis, les objets, les couleurs,
les formes." Comment s'étonner qu'un musicien de cette nature
dépasse les limites calibrées de l'oeuvre occidentale et
mobilise pour lui seul des soirées entières ? Car son style,
c'est "l'opéra: des matières sonores organisées
à partir d'un scénario dramatique et visuel".
Bientôt. il perfectionnera son art lyrique : il y ajoutera un décor,
des lumières, des instrumentistes-acteurs. Bientôt. il inventera,
en plus, ses images. Mais où ?
ANNE REY
(1) 11 janvier, salle Wagram, 20 h.
L'enregistrement de "Shânti" vient de paraître sur
Erato STU 71 205/6.
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LE MATIN DE PARIS
13 Janvier 1979
SALLE WAGRAM
Gaku-No-Michi
de Jean-Claude Eloy
Par terre, des gens roulés
dans des duvets ou des couvertures; d'autres, sagement assis sur des chaises.
Où sommes-nous ? Dans une salle d'attente, une nuit de grève
de chemin de fer, dans une salle de transit pour réfugiés
? Plus simplement à Paris, jeudi soir, salle Wagram, pour le concert
exceptionnel proposé par Jean-Claude Eloy. Une seule uvre
électroacoustique au programme, mais elle dure quatre heures !Il
a fallu le dévouement de quelques amis pour que le compositeur
prenne le risque de ce rassemblement. Le récent Festival d'automne
se serait pourtant grandement honoré d'accueillir officiellement
ce concert dans le cadre de ses manifestations, d'autant plus que l'uvre
présentée par Jean-Claude Eloy est, dans sa genèse,
intimement mêlée au Japon, un des thèmes du dernier
festival.
J'avais déjà entendu Gaku-No-Michi (les Voies de la musique)
dans une première version aux dernières Rencontres de La
Rochelle. Et, curieusement, l'uvre, avec une heure et demie de plus,
m'a paru plus brève. "Rien d'étonnant, dit Jean-Claude
Eloy, c'est qu'elle doit entraîner une autre perception de la durée."
Jean-Claude Eloy ne joue pas la facilité, il ne choisit pas d'accumuler
les matériaux dans un dessein démonstratif ou illustratif.
Au contraire, bien que très riche en fait, sa trame sonore pourrait
paraître étale, pauvre de moyens. Sa recherche se situe essentiellement
au niveau des timbres, toujours très beaux, qu'ils soient obtenus
et travaillés à partir de sons concrets ou de sons électroniques,
et au niveau de l'articulation de la forme dans son rapport avec le matériau.
D'où le lent déplacement des événements sonores,
les larges plages où s'enrichit et se développe le matériau
proposé. Ainsi l'uvre engendre peu à peu, dans le
déroulement de ses quatre épisodes successifs, cette nouvelle
approche du phénomène sonore qui vise davantage à
faire atteindre, dans cette nouvelle perception de la durée, à
une connaissance de soi-même qu'à la jouissance d'un univers
sonore fabuleux et éclaté.
BRIGITTE MASSIN
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LE MONDE
14 et 15 Janvier 1979
"GAKU NO MICHI",
de Jean-Claude Eloy
Gaku-no-michi, l'oeuvre
concrète et électronique de Jean-Claude Eloy, durait deux
heures lors de la création mondiale aux Rencontres de La Rochelle
(le Monde du 11 juillet 1978) ; elle a duré trois heures et quarante
et une minutes pour la nouvelle audition, jeudi, salle Wagram.
Le titre japonais signifie "les voies de la musique". A partir
d'un paysage concret, des bruits de Tokyo déjà assez brouillés
("la voie des sons quotidiens"), on s'enfonce "du concret
à l'abstrait", puis "vers ce qui n'est pas connaissable"
("la voie des sons de méditation"), dans "le flot
incessant de toutes les choses", c'est ensuite "la voie des
métamophoses du sens", qui aboutit à "la voie
du sens au-delà des métamorphoees" et à "un
son de prolongation" immobile, éternisé pendant un
quart d'heure.
Ces indications ne sont que des points de repère, d'ailleurs assez
flous, à travers un voyage sonore au coeur de l'abstrait qui voudrait
être une expérience spirituelle de type oriental, moins explicite
cependant que Shânti, qui était une situation contemplative
de la paix intérieure. Il s'agit ici "d'accéder par
le pouvoir des sons à des expériences de la perception situées
hors du commun, nous invitant à élargir la conscienoe que
nous avons des choses comme de nous-mêmes".
Jean-Claude Eloy est parvenu à une sorte de dilatation du temps:
on écoute ces quelque quatre heures de musique sans éprouver
plus de difficultés d'attention et d'inconfort physique que pour
les deux heures de la version précédente, comme un espace
sonore sans limite, ouvert, mais aussi sans nécessitté absolue.
Passées les dix premières minutes du "film" sur
Tokyo, les sons n'ont plus guère d'origine identifiable, et l'on
suit très bien ces vastes textures électroniques qui se
déploient à loisir, s'engendrent les unes les autres, melodies
et polyphonies, comme des ronflements de moteur aux vibrations, aux ampleurs,
aux intensités, aux spectres harmoniques souvent très différents,
qui s'entrecroisent dans des phases de tension, et de détente rarement
dramatiques, le plus souvent contemplatives et majestueuses.
Des voix d'enfants et de femmes, une brève évocation d'Hiroshima,
quelques psalmodies de moines bouddhiques et le bruit de leurs sandales
de bois, des volées de cloches fantômes viennent parfois
décorer ou ponctuer le temps, lui donner une signification religieuse.
Eloy, comme Stockhausen, Pierre Henry ou François Bayle, a certainement
inventé une forme de grande variation capable de quadriller le
champ illimité de la musique électronique. Mais à
la fois on est captivé et on reste à demi incrédule.
JACQUES LONCHAMPT
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MIDI TV LOISIRS
1980
J.-C. ELOY
GAKU-NO-MICHI
"Les voies de la musique"
On débattra longtemps
encore de la légitimité musicale de l'électronique.
Entre les convaincus (Marcel Landowski ne l'utilise-t-il pas ?) et les
détracteurs, qui, refusant leur temps, n'ont de regard et d'oreille
que pour les moyens et les styles du passé, le fossé n'est
pas près de se combler. Il est pourtant de bon sens d'accepter
l'évidence d'un art utilisant, à l'exclusion de tous autres,
les moyens de son époque. D'accepter celle de deux procédures
-aux chemins parallèles, l'une privilégiant les moyens de
toujours et l'autre délibérément tournée vers
l'avenir. Et attendre que le chef-d'uvre surgisse un jour de la
manipulation sonore des électrons.
Sous l'égide des Affaires Culturelles, de la fondation de la S.A.C.E.M.
et en collaboration avec Radio-France, l'éditeur Adès vient
de graver l'uvre électronique et concrète la plus
récente de Jean-Claude Eloy (1). Il y a moins de deux ans, à
propos de la publication de Shânti par Erato, j'ai présenté
ce musicien (né en 1938), brillant et multiple lauréat du
Conservatoire National de Paris, qui, à partir de la rencontre
qu'il fit, en 1970, de musiciens et penseurs asiatiques, délaissa
les voies du sérialisme dans lesquelles l'enseignement de Boulez
l'avait fourvoyé. Dès lors, l'investigation des univers
religieux et musicaux de l'Asie, confrontés avec la pensée
et le "modus" orientaux, l'infléchit vers l'utilisation
de l'électronique dont il faut bien dire qu'elle représente
un univers aux possibilités prodigieuses.
Rumeurs de la ville
Gaku-No-Michi est le nouveau parcours que nous propose Jean-Claude Eloy.
Il faut s'y laisser introduire avec une totale disponibilité de
l'oreille et de l'esprit. Gaku-no-Michi veut dire "Les Voies de la
Musique". Nous y engage la rumeur multiforme et lointaine, étonnamment
fluide, de l'immense métropole japonaise (Tokyo) qui happe les
lambeaux de paroles, plus insaisissables que les citations de Shri Aurobindo
ou de Mao dans l'uvre précédente Shânti, et
que strient de larges orbes (trajets de la circulation urbaine, voyages
de particules cosmiques ?). Peu à peu les trames sonores de la
métropolis estompent leurs identités sans les perdre totalement,
se transmutent en une vaste cosmogonie dont les éléments,
poussières sonores, fragments de cloches des temples de Kyoto,
de tambours et de gongs, appartiennent toujours à l'univers concret
et terrestre.
Peu à peu, du monde sonore encore reconnaissable de la cité
humaine, de la "Voie des sons quotidiens", sommes-nous conduits
à ce que Jean-Claude Eloy appelle "la connaissance essentielle".
C'est la "Voie des sons de méditation" (Fushiki-é)
qui, située au niveau de l'électronique pure, n'est pas
sans rappeler celle de Messiaen. Ce voyage sonore rappelle les formes
obsédantes - vastes spirales diffractées puis épousées
puis à nouveau diffractées en un jeu insatiable d'états
alternés d'angoisse et d'extase - qui peuplent le sommeil de l'opéré
soumis aux barbituriques.
La Voie des sons de méditation est la partie la plus longue de
l'uvre. Évoluant dans un univers de timbres très différent
de "Tokyo", les matériaux sonores très abstraits
comportent des éléments concrets empruntés aux musiques
traditionnelles, aux bruits du théâtre Nô, aux musiques
boudhiques. Les parties "Contemplation" (véritable point
d'orgue électronique) et "flot incessant de toutes les choses"
ne sont pas reproduites dans l'enregistrement.
Réminiscence
Des hautes sphères de la méditation-contemplation, Jean-Claude
Eloy nous ramène au monde terrestre mais dans l'état des
"réminiscences" (événements commémorant
chaque année l'apocalypse d'Hiroshima, hymne national japonais).
Cette partie sensibilise à la dualité d'angoisse, de joies,
que les lambeaux de la mémoire imposent.
Jean-Claude Eloy a contracté Gaku-no-Michi qui, au concert, dure
cinq heures (seul un public asiatique pour qui le temps n'a pas la même
dimension peut le "recevoir") en deux heures d'enregistrement
qui respectent un grand équilibre entre les sons concrets et les
sons abstraits. Le Son d'introduction (Pachinko) ne figure pas; quand
au "son de prolongation" (Han) qui permet à l'auditeur
de se détacher progressivement de l'action sonore, il n'excède
pas deux minutes dans l'enregistrement.
Réalisé dans les studios de la Radio de Tokyo il y a deux
ans, Gaku-No-Michi est un hommage à la philosophie Zen et à
la mystique boudhique. Cette symphonie électronique, qui par sa
dimension de l'infini évoque notre grégorien, vise à
rejoindre le pouvoir des sons de la musique orientale conduisant à
la connaissance-illumination. Il faut y entrer comme on entre en célébration
car il s'agit bien d'une cathédrale où, par les moyens du
futur, nous rejoignons une culture et une pensée millénaires.
Gaku-no-Michi est une uvre - peut être un chef-d'uvre
? - qui éclaire notre temps.
R.-A. LACASSAGNE
(1) 2 Adès 21005
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LE MONDE
Mardi 8 Janvier 1980
"GAKU-NO-MICHI",
de Jean-Claude Eloy
Les voies de la musique
La musique contemporaine
la plus récente ne peut guère être écoutée
que lors d'auditions fugitives dans des concerts spécialisés.
L'engouement des maisons de disques, il y a une dizaine d'années,
a rapidement disparu devant la faiblesse des ventes. On se réjouira
donc que les disques Adès, sous l'égide du ministère
de la culture et de la fondatian SACEM pour la communication musicale,
en collaboration avec Radio-France, aient eu le courage de graver une
des oeuvres importantes de ces dernières années, "Gaku-no-Michi",
de Jean-Claude Eloy, qui permettra de scruter cet univers musical assez
extraordinaire.
Pour ceux qui connaissent les productions électroniques de Stockhausen,
Pierre Henry, Berio ou François Bayle, l'oeuvre d'Eloy s'inscrit
dans une ligne déjà très fréquentée
; mais pour ceux qui l'aborderont sans préparation, elle posera
à nouveau la question fondamentale : qu'est-ce que la musique?
Cette attaque puissante, cette rumeur lointaine des bruits de Tokyo, cette
trame dense où s'accrochent des vestiges de paroles inaudibles,
ces longues courbes de météorites sifflants, est-ce que
cela mérite qu'on reste près de deux heures immobile en
face de ses hauts-parleurs? (Encore le disque a-t-il dû abréger,
pour des raisons économiques, une partition qui peut durer jusqu'à
cinq heures, plus que "Parsifal").
L'auditeur de bonne foi devra persévérer et il se rendra
sans doute compte rapidement que cet univers, fait apparemment de bruits,
est d'une richesse captivante, que le temps passe très vite, et
qu'une conscience musicale, une logique intuitive, sont à l'oeuvre
de bout en bout.
Poursuivons donc notre écoute: les échos de Tokyo deviennent
de plus en plus méconnaissables, se fondent dans une grande trame
qui évolue lentement. Des événements abstraits émaillent
le discours, comme des échos de trompe grave, des traînées
crépitantes, des sons grinçants et âpres, des démarrages
de moteurs. La musique évolue sans cesse, tantôt en une poussière
de sons multiples, tantôt en un conglomérat d'éléments
fondus d'une grande densité expressive, tantôt en des concerts
lointains de cloches graves, balayées par une sorte de vent violent
ou majestueux.
"Gaku-no-Michi" signifie "les voies de la musique"
et, pour Eloy, cette première partie est celle "des sons quotidiens,
du concret à l'abstrait", une "transsubstantiation-oubli"
qui, du monde sonore environnant, nous mène a une "connaissance
essentielle" par la méditation, l'immersion dans les sons.
Baignés par la musique, menés par Eloy, comme Dante par
Virgile, nous arriverons peut-être à lire à travers
le son quelque chose de nous-même et de l'univers ; n'est-ce pas
la définition de toute musique?
Voyons rapidement les autres moments de cette musique, à la lettre
indescriptible : "la voie des sons de méditation" est
un voyage à travers des octaves graves où s'élève
une longue spirale électronique d'une belle couleur irisée,
qui se diffracte ensuite en lignes divergentes pour rejoindre une sorte
de grand accord, un moment fixe, qui, à son tour, évolue
et se charge d'autres événements colorés aboutissant
à d'autres masses ou regroupements de sons, comme des étapes
d'une contemplation qui dérivent les unes des autres, s'immobilisent
quelque temps et reprennent leur marche par d'autres chemins.
Tantôt calmes, tantôt mouvementées, unifiées
ou riches en particules sonores indépendantes d'allures très
différentes, passant de profondeurs cathédralesques à
des scintillements inouis ou à des percussions violentes, ces respirations
musicales conduisent à une sorte d'intemporalité voisine
de l'"extase".
La dernière partie, "Réminiscence, la voie du sens,
au-delà des métaphoses", ramène peu à
peu à une sorte de conscience dramatique du monde; des conflits,
toujours abstraits, aboutissent à de grandes structures harmonieuses;
des motifs déchirants sont intégrés à de vastes
synthèses; l'hymne national japonais se déploie lentement
sur de sourdes explosions à travers cette grande vision calme et
grave qui enfin s'immobilise sur un long accord intemporel.
Dans cette réduction opérée pour le disque, Jean-Claude
Eloy a délibérément exclu les éléments
les plus concrets, les plus reconnaissables, comme pour signifier que
l'essentiel est au coeur des sons. De cet hommage assez secret au Japon,
à la philosophie zen, au mysticisme bouddhique, il a fait une grande
symphonie, digne de l'Occident, dont les immenses architectures abstraites
rejoignent cependant le principe qui inspire la musique orientale: celui
du "pouvoir des sons" qui mènent à la connaissance,
voire à l'illumination.
JACQUES LONCHAMPT.
* Deux disques Adès, 21 005. La
précédente oeuvre d'électronique d'Eloy, Shânti,
a été publiée l'an passé par Erato (deux disques,
STU 71205/206).
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NRC HANDELSBLAD
(Pays-bas)
Mardi 21 octobre 1980
Eloy prend tous les risques
avec Gaku-No-Michi
Concert: Gaku-No-Michi
(Les Voies de la Musique) 1977 1978, film sans images pour sons
électroniques et concrets de Jean-Claude Eloy, réalisé
au studio pour la musique électronique de la radio japonaise NHK
à Tokyo. Premier concert électronique dans la série
de la Fondation Combinatie van Utrechtse Muziekbelangen, lundi soir dans
la Geertekerk.
Par ERNST VERMEULEN
UTRECHT, 21 oct.
La fondation Eduard van Beinum à Breukelen a organisé ces
jours-ci un atelier de composition internationale (le 21 novembre, KRO
sur Hilversum 4 en fera une présentation), auquel le compositeur
français Jean-Claude Eloy a été convié dimanche
dernier pour une présentation de clôture sur le thème
"The perception of time in Eastern and Western music: an introduction
to his recent work Gaku-No-Michi" ("La perception du temps dans
la musique de l'Orient et de l'Occident: une introduction à son
uvre récente Gaku-no-Michi").
Il sagit de plus de quatre heures de musique sur bande, montée
comme un film sans images, un travail fantastique reproduisant en effet
entièrement la sensation du temps. Nous sommes allés lécouter.
Le souvenir de Shanti y incitait sans peine. Cette oeuvre (Shanti) a été
réalisée en 1972 / 1974 à Cologne. Cest une
composition monumentale qui a également été présentée,
sous les auspices de la fondation, dans la Geertekerk, à Utrecht,
en 1978.
Il est certain quEloy connaît le sujet. Il est né en
1938, a étudié avec Milhaud et Boulez, mais est davantage
influencé par Messiaen - la partie centrale de Gaku-no-Michi en
est un exemple flagrant ! Il a enseigné dans les années
soixante à Berkeley ce qui sentend dans Shanti - ,
où il sest ouvert pour la première fois entièrement
à lesthétique orientale dune façon générale,
et au passage du temps en particulier. Il travaille actuellement à
Paris, et a réalisé lété dernier au
Studio de Sonologie dUtrecht une composition pour percussions, synthétiseur
et bandes. Il travaille à un ouvrage intitulé Musique hors
frontières.
Gaku-No-Michi évolue
sous forme de spirale pour atteindre un climax puis en retire le fragment
suivant. Luvre se compose de quatre parties: après
une introduction, suit la partie Tokyo (sons de lenvironnement quotidien,
sous forme de métamorphoses de sons allant du concret reconnaissables
pour passer vers l'abstrait musical), puis une seconde partie, la plus
longue, intitulée Fushiki-e (un défrichage de "ce qui
n'est pas connaissable", la voie des sons de méditation, qui
se développe en sens inverse, de labstrait vers le concret),
aboutissant à une contemplation statique qui peut être prolongée
à volonté.
Café
Le compositeur nous a ensuite autorisés à aller prendre
un café, pour entendre ensuite : Banbutsu-no-Ryudo (le flux de
toutes les choses, du concret vers le concret dans un sens aliénant,
laccent étant mis sur la contradiction dont sont porteurs
les objets sonores - un débat purement politique peut ainsi devenir
un vrombissement dinsectes aux riches sonorités), et pour
finir Kaiso, qui comprend des réminiscences des parties précédentes
et va de labstrait vers labstrait, par les voies qui pénètrent
nos émotions au-delà des métamorphoses. Cette quatrième
partie évoque par ailleurs le drame dHiroshima.
Tout ceci a lair fantastique et cest bien le cas. Hélas,
toutes les promesses ne sont pas tenues. Il y a aussi des fragments sans
grande signification, beaucoup trop statiques: une pause sans tension.
Cest le risque de ce type de composition où aucun fragment
na de sens, tout étant passé dans les grandes lignes.
Le matériel concret est toutefois très habité. Des
sons de cloches descendants peuvent par exemple être remplacés
par une belle voix de femme déclamant, suivie de prières:
ceci rappelle la langue de Berio. Eloy est tout de même moins raffiné,
moins articulé, plus large et dans un sens bien trop européen
pour sapprocher réellement des images raffinées asiatiques
dun point de vue mental.
Il manque donc une synthèse. Eloy propose un commentaire, mais
sans se fondre dans lesthétique orientale. Sa tentative osée
à la Mahler mérite tout notre respect. Eloy est un personnage
hors du commun qui ose prendre tous les risques. Dommage que plusieurs
naient pas supporté certaines longueurs, car le bruit des
chaises sur le carrelage du Geertekerk allait mal avec latmosphère.
Or latmosphère est indispensable à Eloy.
(traduit du Néerlandais)
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UNO MÁS UNO
(Mexico-city)
21 Août 1981
Eloy : "La musique: un conflit entre Orient et Occident".
Le compositeur donnera une conférence ce soir à lUNAM
de PATRICIA CARDONA
Considéré
comme le plus indépendant des compositeurs français de la
seconde moitié du XXe siècle, Jean-Claude Eloy définit
lapproche du public par rapport à sa musique comme un contact
"psychophysique acoustique", alors que, selon lui, lexpérience
ressentie par lauditeur à lécoute de la musique
contemporaine a jusqualors été essentiellement cérébrale.
Ce soir, à 20 heures, à la Salle Carlos Chávez du
Centre Culturel Universitaire, le maestro parlera de larchitecture
du temps musical dans son uvre, lors dune conférence
intitulée "Unidirectionnalité Multidirectionnalité:
les limites entre lAsie et lOccident".
Convaincu de linfluence de la musique sur létat psychique
et neurologique de lhomme, Jean-Claude Eloy approfondira la question
de la nature et des effets de la musique rituelle secrète sinscrivant
dans son travail de création et dinterprétation des
relations entre les cultures dOrient et dOccident.
"Linformatique, déclare Eloy, a permis à la musique
de passer à une étape post-alphabétisée"
marquée par un caractère plus direct, et plus organisée,
qui la distingue de lancienne tradition occidentale. Le compositeur
a pu approcher lunivers primitif à travers la musique électronique.
Celle du Tibet, par exemple, représente un point de contact entre
lapproche musicale la plus avancée dans ce genre et la tendance
ancestrale de lhomme à communiquer organiquement avec les
sons.
Eloy dirigera un atelier organisé par la Compañía
Musical de Repertorio Nuevo, du 24 au 29 août, dont le thème
sera "la pratique de la musique électronique". Les expériences
du compositeur dans ce domaine ont été acquises dans les
plus grands centres dAllemagne et du Japon et sur le système
informatique musical UPIC au CEMAMu de Paris.
En outre, ce contact étroit avec la musique orientale, qui sest
déjà transformé, dans le cadre de la composition,
en "une seconde nature", la amené à définir
lavenir de la musique comme un conflit à résoudre
à partir des influences culturelles. Le mélange de cultures
sera à lorigine dun nouveau projet; il sagira
dune rencontre entre le passé et le présent, entre
lOrient et lOccident. "A cet égard, notre génération
se trouve dans une période de transition difficile. Nous sommes
les porteurs dune tradition et dans le même temps les créateurs
des futures approches", commente-t-il.
Il indique que cette musique doit encore entrer dans une phase de stabilité
qui sera perçue, dans lhistoire de la musique, comme une
autre étape classique dans lévolution naturelle de
ce genre. Non seulement Eloy connaît les méthodes classiques
de conservatoire ainsi que les techniques de laboratoire, mais il est
également reconnu comme un expert de la musique traditionnelle
indienne et japonaise.
"La maîtrise du matériel sonore est une condition préalable
au développement dune structure théorique", indique
le compositeur. "Lévolution rapide de la musique électronique
a été marquée par une succession de phases caractérisées
par des métamorphoses radicales dans la gestion du son", explique
Eloy, qui a été, pendant quelques années, professeur
de composition à lUniversité de Berkeley.
La durée de luvre "Gaku no Michi" (quatre
heures) a été, selon Eloy, déterminée par
linstinct, par la maturation de sa relation psychique avec la musique.
Son processus créatif a une origine objective.
"Un public suffisamment ouvert, qui se laisse emporter par la musique,
se trouvera face au son comme face à un film sans image visuelle",
commente-t-il.
Se déclarant en faveur de lindividualité dans la création
musicale, il ne croit pas en la musique collective. Eloy condamne à
léchec toutes les organisations musicales dirigées
par un compositeur et il ajoute : "Si nous continuons à tout
centraliser au sein de lIRCAM, que dirige Pierre Boulez, la musique
contemporaine française nexistera plus dici les trente
prochaines années".
(traduit du Mexicain)
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10e anniversaire
"Festival d'Automne à Paris, 1972-1982"
(éditions "Temps Actuels")
JEAN-CLAUDE ELOY
Une voie de la connaissance
Par JEAN-PIERRE LÉONARDINI
Il est du petit nombre
qui ne regarde pas l'Orient comme étant encore la route des épices
(en témoigne son étude pénétrante, qu'on lira
plus loin). Tout en intégrant l'acquis pratique et théorique
du sérialisme intégral, Jean-Claude Eloy s'est attaché
à un véritable métissage des musiques. Son oeuvre
prend figure d'un entretien ininterrompu entre l'ailleurs et l'hier, l'ici
et l'aujourd'hui. Dans Shânti, par exemple, au programme du Festival
en 1974, les sons et les textes en jeu procèdent d'une véritable
jouissance dialectique, elle-même engendrant une durée autonome
où les révélations abondent pour qui veut entendre.
Dans Shânti, Mao Tsé Toung et Shri Aurobindo se télescopent,
le "son de méditation" succède au cri, le tout
fondu dans une même vaste respiration. "Shânti -, dit
Eloy - c'est tout un tissu d'éléments qui s'entrecroisent,
s'opposent et se complètent en évoluant du son le plus "abstrait"
jusqu'au maté-riel "brut'' réaliste. Mais c'est aussi
l'hypothèse d'un son jamais entendu. S'identifier au son, se perdre
en lui. Intégrer dans ce son toutes les forces implosives de la
conscience, en ne faisant qu'un avec sa pulsation multiple, intérieure
et sereine." On ne s'étonnera pas que dans une lettre à
l'auteur de Shânti - pari prométhéen par le truchement
de l'électronique - Karlheinz Stockhausen ait recommandé,
quant à la diffusion en public : "Il faut fermer les yeux
et écouter... A mon avis, dans cette oeuvre-là, les yeux
n'ont besoin de rien." Quoi de plus juste ? Ici le rêveur éveillé
doit s'ouvrir, par l'ouïe, au tumulte d'un combat sans merci contre
l'entropie sonore à l'échelle du monde.
Gaku-no-Michi (les voies de la musique), avec sons électroniques
et concrets, constitue une autre expérience au-delà du concert.
Elle a lieu le 11 janvier 1979, salle Wagram, en collaboration avec le
Festival d'Automne. L'oeuvre se compose de quatre parties. La première,
"Tokyo", prend sa source dans les bruits de la ville, sons quotidiens
hissés, en spirale, du concret à l'abstrait. "Fushiki-e"
fait appel à des matériaux en majorité abstraits
(électroniquement produits dès leur origine) incorporant,
à la limite de l'identification, des éléments du
Gagaku, du Nô, des chants religieux Shômyo... Cela s'arrête
sur un "son d'immobilisation", comme un "immense point
d'orgue". Le troisième mouvement, "Banbutsu-no-ryudo"
manipule des sons concrets - discours politiques, chant nationaliste des
pilotes de combat, annonces commerciales de télévision,
bambou creux frappant une pierre - de telle sorte qu'ils changent de sens
("les discours politiques violents deviennent insectes dans la nature").
"Kaiso", enfin, condense le souvenir des trois mouvements et
s'achève en un "lamento". L'hymne national japonais,
filtré, embrumé, referme 1'oeuvre.
Gaku-no-Michi, en quatre heures, suggère (n'impose pas) une invitation
au "voyage" philosophique sur une construction sonore sans fin
dérivée qui engage l'auditeur, dans ses fibres mêmes,
sur ce qu'il faut bien nommer une voie de la connaissance.
Jean-Pierre Léonardini
Festival d'Automne à Paris
1982
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NEUE ZEITSCHRIFT FÜR MUSIK
23 Janvier 1992
Voix solistes de moines bouddhistes
Les "Inventionen" berlinoises présentent
l'électronique d'Eloy et l'art du violon de Cage
Il ne faut pas manquer dimagination ("Inventionen") pour
organiser un Festival de Musique Nouvelle sous ce nom avec cette fois
encore quelques quarante propositions pour cette dixième année
de jubilée à Berlin. Cela vaut pour les têtes pensantes.
Et il est recommandé aux spectateurs des concerts de sarmer
de temps libre. En effet, quelques concerts sont entièrement consacrés
à un seul compositeur et pour certains dentre eux, cest
juste une oeuvre ou un groupement doeuvres qui couvre la soirée
entière; lattention retombe relativement facilement et lon
se penche avec délice en arrière pour expérimenter
quelque chose qui tient de la pensée culinaire, tout du moins méditative.
En effet, le but actuel de la Musique Nouvelle nest plus seulement
et ne devrait plus seulement être de choquer, dinsécuriser,
de secouer, même si ces fonctions lui sont restées.
Son dans l'espace sous
un ciel étoilé
Dans les fauteuils moelleux du grand planétarium Zeiss déjà
mis à plusieurs reprises à disposition des contemporains
depuis les biennales, entre autres sur linitiative de la musicologue
Gisela Wicke, due au fait quil présente des conditions techniques
idéales, avec une véritable écoute spatialisée,
il est même possible de pencher la tête en arrière
(depuis que, dernière nouveauté, lAtelier de Berlin
- Werkstatt Berlin - la associé au ciel étoilé
du planétarium). Les sons vous y entraînent dailleurs
et loeuvre dure quatre heures non stop si vous en avez la patience.
Le Français Jean-Claude Eloy (né en 1938), élève
de Milhaud, puis de Boulez à la Master Class de l'Académie
de musique de Bâle, na eu de cesse de retourner au Japon depuis
1976. Il séjourne actuellement à Berlin où il est
linvité du Service dEchange Universitaire Allemand
(Deutscher Akademischer Austauschdienst) et on la donc dûment
pris en considération. Ce Service dEchange a été,
avec son Berliner Künstlerprogramm, le véritable instigateur
du festival. Nous pourrons écouter le 7 février les "Libérations"
dEloy (1989-91) et entendre le compositeur en personne lors dune
conférence donnée le 30 janvier. Cent minutes d"Anâhata
III" ont dores et déjà été présentées
lors dun spectacle de musique électronique en direct [...]
. [
] Jai écouté loeuvre
suivante : "Gaku-no-Michi", de 240 minutes.
Il y a juste un son provenant
dune bande magnétique: électronique mais aussi très
musique concrète. Le tout se fond en une unité qui suscite
lintérêt, captive, encourage le plaisir. On entend
le bruit dun aérodrome et les annonces prononcées
dans des moyens de transports locaux, des cloches et des clochettes, des
instruments du théâtre Nô. Le son croît, décroît,
saccorde, calme extraordinairement. On commence même à
se sentir un peu asiatique... Un autre concert, donné dans la salle
Otto Braun de la Westberliner Staatsbibliothek, est lui aussi consacré
à un seul compositeur et leffet recueilli est le même
malgré toute la différence de style. John Cage, le vieux
maître de quatre-vingt ans auquel quatre programmes ont été
consacrés cette année, a été représenté
en solo pendant une soirée entière avec ses "Freeman
Etudes" pour violon. Soit au total deux cent trente morceaux composés
entre 1977 et 1980.
Cage, un "Neutöner", un créateur de sons nouveaux.
Certainement. Mais ici, il semble vraiment classique. [
]
[
] Et une telle oeuvre de vieillesse permet aux plus néophytes
de prendre plaisir à la Musique Nouvelle. Du reste, Cage était
déjà invité à Berlin en 1972 par le Service
dEchange et il a donc pris part aux premières "Inventionen".
WERNER SCHÖNSEE
(traduit de lAllemand)
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LE MONDE DE LA MUSIQUE
n° 18 - Décembre 1979
LES ENTRETIENS DU MONDE DE LA MUSIQUE
JEAN-CLAUDE ELOY
TOKYO VILLE ORCHESTRE
Jean-Claude
Eloy, compositeur
Chris Marker, cinéaste
Vous roulez Yamaha,
vous êtes à l'heure Seiko, vous écoutez Sony, vous
êtes déjà Japonais. Juste retour: l'Orient lointain
profite de nos vices de consommateurs. Et le commerce des idées
? Là, c'est toujours le blocus ! L'Europe, qui a construit des
fortins culturels dans le monde entier, n'a toujours aucune envie de se
frotter sérieusement aux savoirs étrangers. Le Japon, en
musique, qu'est-ce que c'est ? Jean-Claude Eloy est allé y vivre.
Il est le seul compositeur français de sa génération
- il a quarante et un ans - a avoir constamment cherché à
connaître les grandes traditions musicales d'Orient, et le seul
qui ait su en tirer des leçons. C'est à Tokyo que Chris
Marker l'a rencontré. Il l'a interrogé sur sa façon
de voir le Japon, sur ses contacts avec la vie quotidienne, avec les sons
japonais et sur les chemins qu'il invente pour les conduire dans sa propre
musique.
J.C.E. : - On ne peut plus
considérer les compositeurs japonais comme des sous-produits de
l'Europe. Je ne dis pas que la situation ici, au Japon, est idéale,
ni qu'on déborde de puissance créatrice. Ce serait exagéré,
mais je dis qu'il y a actuellement une évolution dans toute l'Asie
vers une indépendance vis-à-vis du modèle européen:
les vieux compositeurs japonais avaient tous l'il fixé sur
Paris ou sur Berlin. Les jeunes, eux, redécouvrent leur passé,
leur culture. Non pas à la manière des Soviétiques
qui ont pris une position théorique et ont déclaré
un beau jour : "Nous devons puiser dans les racines du folklore national".
Non. Ils le font naturellement.
Au Japon, il n'y a pas une musique, mais des musiques. Ici, c'est la ville
au monde où il y a le plus de musiques différentes à
la fois. Dans la vie quotidienne, on entend une quantité invraisemblable
de musiques d'ambiance. On bute sur des haut-parleurs partout, dans les
rues, sur les plages, devant les lacs...
C.M. : - Pourquoi cette fuite devant le silence, qui a toujours été
si important dans le monde asiatique ?
- Je ne sais pas, je constate. Ce sont des phénomènes qui
dépassent de loin la conscience esthétique de l'individu.
Mais derrière, on trouve, évidemment, des considérations
commerciales.
- Avez-vous découvert des sons japonais ou aviez-vous déjà
une idée de ce que vous cherchiez en venant ?
- Je connaissais assez bien la culture japonaise musicale par le disque.
Mais je n'avais pas l'oreille formée aux bruits de la rue. C'est
très vivant, ce concert de haut-parleurs ! Et il y a aussi les
voix, les cris. Tout cela finit par créer un paysage sonore urbain
fascinant.
À Paris, on voit encore le Japon à travers les kimonos et
Madame Butterfly... Et ce qui m'exaspère le plus, c'est d'entendre
accuser "d'exotisme" ceux qui s'intéressent aux cultures
traditionnelles d'Asie ou pire, ceux qui, comme Takemitsu, réintègrent
leur propre culture dans leur uvre.
Il y a des ponts étonnants et les musiciens contemporains, ici,
cultivent les vieilles traditions sans exotisme ni contradiction. Prenez
un instrument comme le shakuhachi, qui est une flûte célèbre.
Quand on le compare à l'électro-acoustique, on pense que
c'est deux mondes qui n'ont rien à se dire. Ce qui est intéressant,
c'est de voir que, au-delà d'un éloignement apparent, le
shakuhachi par les moyens naturels du souffle humain dans un bambou est
capable de produire des phénomènes acoustiques très
complexes par la différenciation des souffles, des modes d'attaque
et de jeu. Depuis très longtemps, la musique japonaise a été
habituée à cultiver le corps acoustique dans sa beauté.
Dans le théâtre Nô, la percussion est incorporée,
le cri est incorporé. La musique savante occidentale, elle, a rejeté
la percussion et le cri parce qu'ils sont des corps acoustiques trop complexes
pour entrer dans la relation ponctuelle de la polyphonie. Toute cette
complexité acoustique de la musique traditionnelle japonaise trouve
un écho dans la musique contemporaine.
Après un kabuki
on passe à Tchaïkovski
Pour un compositeur japonais, tenter de créer un passage entre
sa propre pratique et la tradition de son pays est une attitude vraiment
naturelle. Ça se fait tous les jours dans la rue, à la télé
ou à la radio. Vous tournez le bouton et vous tombez sur un kabuki
(1) ou sur une voix qui chante un minyô (2) avec des vibrations
étranges, et si vous passez sur une station à côté,
vous tombez sur un Tchaïkovsky électronisé !
Quand je suis venu ici la première fois, j'étais supposé
faire une réalisation dans un studio électronique. C'était
presque une "commande", mais j'avais plaisir à travailler
au Japon. Évidemment, j'ai essayé d'ouvrir mes yeux et mes
oreilles. Le bruit de la ville m'a semblé tellement fort, tellement
présent, que je n'ai pas pu résister au plaisir d'enregistrer.
Progressivement, je me suis dit : pourquoi pas ? C'est un matériau,
même si ce n'est pas moi qui l'ai inventé. Et j'ai eu comme
première source, cette vie urbaine japonaise. Puis je suis allé
à Kyoto, j'ai écouté le shômyô (3), j'ai
assisté à des cérémonies traditionnelles,
dont la cérémonie de l'eau et du feu qui a lieu chaque année
en mars, et dure douze jours. J'ai suivi la dernière nuit. Tout
ce que j'entendais était tellement plus beau que ce que je connaissais
par les disques ! Finalement, ces matériaux se sont intégrés
dans le travail que j'étais en train de faire, et ont suggéré,
par leur présence, des développements nouveaux dans les
circuits électroniques que je composais chaque jour. Et je peux
dire que cette uvre - Gaku no michi - est liée à ma
découverte du Japon. Chaque chose que l'on fait, finalement, à
une période de sa propre activité créatrice, est
reliée à tout ce qui l'entoure.
- Oui, encore qu'il y ait une tradition de l'uvre solitaire où
tout se passe dans la tête du musicien...
- Oui, je sais. Mais ça, c'est la musique abstraite, c'est l'écriture,
n'est-ce pas ? En électro-acoustique, on n'embraye pas sur les
mêmes choses, et je pense que c'est ce qui nous a rapproché
des cinéastes. On évolue dans les sons de la vie et de la
réalité qu'ignorait la musique d'écriture traditionnelle.
Lorsque j'utilise les bruits de la rue, je ne pense pas du tout faire
entrer l'anecdote dans l'uvre, mais plutôt jouer sur les significations
des choses. Par exemple, ici, il y a des sons très caractéristiques:
ce sont les discours politiques. Chacun vient faire son discours avec
des haut-parleurs sur une place, ça résonne très
fort; le style du japonais, c'est assez dur comme ton. J'en ai enregistré
un certain nombre. J'ai employé ces matériaux qui, par la
magie des circuits électroniques, se sont métamorphosés.
Un discours nationaliste s'est transformé en bruits d'insectes.
Il y avait aussi un petit bout de chant nationaliste qu'on entend souvent,
un chant des pilotes de combat, que j'ai traité uniquement électroniquement
et qui est devenu une immense plage très ralentie, du plus grand
calme, de la plus grande paix. On a ainsi des pouvoirs de métamorphoses.
C'est un jeu assez amusant pour un musicien d'avoir ainsi une emprise
sur la réalité.
- En admettant que vous ayez toutes les facilités techniques,
que voudriez-vous faire ?
- J'ai très envie de travailler avec des instrumentistes japonais;
ils sont extraordinaires. J'aimerais faire des uvres "mixtes",
c'est-à-dire pour solistes et électro-acoustique. Dans ce
domaine, tous les rêves sont réalisables, les sons sont sans
limite.
Je voudrais aussi travailler en direction de l'opéra, mais en reprenant
complètement la situation du spectacle, en y intégrant la
vidéo ou le cinéma, par exemple. Toute mon évolution
depuis quelques années me conduit à l'opéra. Parce
qu'il y a une dramaturgie dans les sons: le matériau abstrait électronique
et le matériau concret pris dans la vie sont comme deux pôles
qui s'opposent, qui s'affrontent et forment implicitement une situation
dramatique. Il n'y a qu'à les verbaliser.
Des discours
transformés en insectes
- Et vous avez déjà entrepris quelque chose ?
- J'ai pensé à beaucoup de choses, mais je préfère
garder le silence là-dessus. De toute façon, vous pouvez
très bien avoir votre utopie, mais vous ne pouvez envisager de
la transformer, en réalité que le jour où vous sentez
que vous allez disposer de moyens. Actuellement, je n'en suis pas là.
- Dans un opéra, vous resteriez un musicien français
?
- C'est 1'un de mes problèmes et je ne l'ai pas résolu.
Je ne peux pas imaginer un truc purement français... ça
m'énerverait... je trouverais ça ridicule... non, ça
n'irait pas. Un texte d'opéra, en général, n'est
pas vraiment compréhensible. J'envisage plutôt un texte multilingue...
- Une uvre musicale multilingue, donc multiculturelle, s'adressant
à un public dont les curiosités devront être multipIes,
vous n'avez pas l'impression de travailler pour une société
qui n'existe pas ?
- Eh bien, oui... très bien... tant mieux ! Il en a toujours été
ainsi de la création, et il n'y a rien à faire.
- Vous parliez tout à l'heure du pouvoir de métamorphose
du compositeur. Ne pensez-vous pas que l'écriture musicale contemporaine
cherche à retrouver une fonction fondamentale de la musique ?
- Oui, vous touchez du doigt quelque chose d'essentiel. Quand je fais
de la musique, quand j'en écoute, c'est pour moi une action importante
et grave. Or, il y a une fonction de la musique, très ancienne,
qui est celle du divertissement: hélas, elle est souvent devenue
prétexte à glorification d'un chef d'orchestre, d'une chanteuse,
d'un violoniste... Le public décerne ses prix, personne ne peut
vraiment être affecté en profondeur, on se divertit. Aucune
dimension spirituelle... Je n'ose pas prononcer ce mot. Les gens, d'habitude,
sautent en l'air et me collent une soutane de curé.
Non. Je pense simplement qu'à travers la musique, il y a une communication
qui s'établit. Quand je fais un concert d'électronique,
on me dit souvent que ce n'est pas vivant, que ma présence n'est
pas nécessaire. Si je n'étais pas là, je vous jure
que ce qu'on entendrait ne ressemblerait en rien à l'original.
Je passe des heures à mettre au point une installation avant un
concert.
L'électronique permet de faire entrer la musique là où
elle ne pourrait jamais aller. J'ai donné des concerts en plein
cur de l'Indonésie à Bandoung devant des auditoires
de jeunes qui n'avaient jamais rien entendu de pareil. J'ai discuté
pendant deux ou trois heures avec eux: entre eux et moi, il y avait bel
et bien communication. J'étais heureux de rencontrer d'autres gens,
d'être confronté à d'autres réactions.
- Vous n'auriez pas un contact identique avec un public européen
?
- Non, et à Paris moins qu'ailleurs. Le public parisien est complètement
cuit, mort. Il a tout vu, tout entendu.
- Le concert n'est peut-être plus adapté à ce genre
de musique ?
- Oui, bien sûr, c'est ce qu'on dit tous, mais malheureusement,
il n'y a pas de solution pratique. C'est horrible, le monde de la musique;
c'est un monde absolument destructeur, négatif au dernier degré,
petit... Il y a d'abord cette toute petite surface de public, tellement
petite, tellement ridicule; évidemment, tout le monde convoite
les mêmes deux cents, trois cents auditeurs... Ensuite, la musique
en France est devenue complètement étatisée et ultra-centralisée.
Il n'y a plus de points d'éclosion. Paris. Paris. Paris. C'est
l'histoire qui est à remettre en cause...
- Pourtant, il y a les festivals...
- Non, ils n'arrivent pas à opérer une décentralisation.
Regardez l'échec de La Rochelle, récemment. Dans les derniers
temps, il y avait cinquante personnes dans les concerts; les gens du coin
s'en désintéressent. Il faut reconnaître que les compositeurs,
sur cette question, ne sont pas tous tellement innocents. Et il faut dire
la vérité: certaines uvres contemporaines sont tellement
emmerdantes qu'il y a de quoi dégoûter l'auditeur. Des abstractions
prétentieuses et fumeuses qui n'adhèrent à aucune
espèce de réalité sonore. Il n'y a aucune communication
qui s'établit et finalement on se coupe des gens.
- La télévision, la radio ne pourraient-elles aider à
préparer le public ?
- Oui, évidemment. Ici aussi, les compositeurs japonais vivent
marginalement. Les bons compositeurs, j'entends. Eux aussi en souffrent.
Les esprits sont tellement sous la pression des clichés des médias
qu'ils deviennent stéréotypés sur toutes choses.
C'est peut-être encore plus dur de faire pénétrer
une idée nouvelle dans des esprits comme ceux-là. Mais,
d'un autre côté, les compositeurs vivent tous grâce
à la télévision et au cinéma. On leur demande
de la musique commerciale. Takemitsu a fait cinquante musiques de films
!
- Est-ce que dans ce cas-là, il leur arrive de s'exprimer dans
leur propre langage, ou considèrent-ils qu'il n'est pas accessible
aux masses ?
- Ils font des concessions, de toute évidence, mais qui ne sont
pas trop abusives. Ils essayent quand même de faire quelque chose
de différent de "l'industrie des clichés". Tandis
qu'en France, à ma connaissance, les compositeurs dits sérieux
ou un peu intéressants sont complètement coupés de
toute création commerciale. Les musiques commerciales sont faites
par des spécialistes. C'est très malsain comme système.
- Le système japonais est positif dans la mesure où il
aide les compositeurs à vivre, mais il n'aide pas leur musique
véritable à se diffuser. Et il y a une espèce de
fatalité: la même technologie d'un côté leur
donne des instruments pour élargir leur langage musical, de l'autre,
elle leur ferme les voies d'accès à l'art public.
- Oui, oui, c'est une spirale... Mais je pense que tout ça n'a
pas dit son dernier mot. Les télévisions existent depuis
quand ? Trente ans ? Ce n'est rien.
- Ce n'est rien, sauf que, sur cette petite distance, on a l'impression
que ça va plutôt en s'aggravant ! La télévision
japonaise est pire maintenant que la dernière fois que je suis
venu !
- C'est possible ! C'est très bizarre. Regardez une chaîne
comme NHK: elle diffuse des programmes culturels très intéressants,
des cours de langues, des cours de musique... J'ai vu des leçons
de piano très bien faites, en pleine soirée, à une
heure de grande écoute.
- Elles sont regardées ?
- Je ne connais pas les statistiques. Mais ça doit être comme
un peu partout: le film de samouraï, à la même heure,
doit avoir une plus grande audience... Mais ces émissions existent
et c'est déjà une raison pour ne pas dire que la spirale
s'enfonce obligatoirement vers le néant. Certaines réactions
montrent que le mouvement pourrait être complètement inversé.
J'ai demandé à un jeune compositeur japonais : "Où
voyez-vous votre avenir ?" Il m'a répondu : "A la radio
ou à la télévision, parce qu'il n'y a que dans les
médias qu'un compositeur peut s'exprimer".
- Vous reconnaissez que la musique contemporaine, un peu partout, est
dans une situation marginale. Finalement, ce qui lui manque à cette
musique, ce serait presque d'être le support d'une religion: avoir
ses temples, ses célébrants et par conséquent les
moyens de se faire entendre.
- C'est très cruel, ce que vous dites là.
- Pas du tout ! Mais la religion, dans le mauvais sens du terme, n'a
peut-être suscité que des approches encore insuffisantes
de quelque chose de plus profondément nécessaire à
la respiration humaine. Il existe certainement d'autres voies.
- Oui, certainement. C'est là qu'on rejoint la métaphysique,
après tout. L'interrogation de l'homme sur le pourquoi des choses,
le pourquoi de son existence et de l'univers dans lequel il se trouve,
c'est au fond celle de tout scientifique, c'est celle de l'homme qui cherche
avec des radio-télescopes à percer les limites de l'univers.
Pour savoir finalement... quoi ? Les religions ont toujours tenté
de donner une réponse. Supprimer les religions ne supprime pas
les questions, ni la métaphysique.
Ce n'est pas pour rien qu'on a tous tendance aujourd'hui - et moi en particulier
- a être passionnés par les musiques dites magiques. Celle
des moines tibétains, par exemple. Effectivement, c'est une musique
plus que religieuse. C'est une musique de magie et les moines sont des
magiciens du son. Ils estiment que le son a un pouvoir. Ils font sortir
ces sons de leur voix, mais ce n'est pas uniquement pour faire le célébrant;
ils sont persuadés que les vibrations agissent sur les choses.
Je sais, il y a autour de ça beaucoup de légendes. Il n'empêche
que ces choses sont réelles. La musique magique existe, en Afrique,
en Amérique latine, partout. Et n'est-ce pas depuis toujours le
désir le plus profond du musicien que de détenir des pouvoirs
?
Propos recueillis par CHRIS MARKER
(1) Première forme populaire du
théâtre japonais, mêlant le chant, la danse et le jeu.
(2) Terme général pour désigner le chant populaire.
(3) Chant bouddhique.
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