FAISCEAUX-DIFFRACTIONS
Presse (Français)
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WASHINGTON POST
31 octobre 1970
Festival de musique Coolidge
Par Paul Hume
*
THE EVENING STAR
Samedi 31 octobre 1970
Washington, D.C.
ACTUALITES MUSIQUE
Le festival Coolidge démarre sur une bonne note
Par Irving Lowens
Rédacteur attitré du Star
*
THE NEW YORK TIMES
DIMANCHE 1er NOVEMBRE 1970
Le festival de musique de chambre offre 3 nouvelles uvres à
la capitale
Par Donald Henahan
Pour le New York Times
*
LE MONDE
5 juin 1971
SPECTACLES
Marietan, Ohana et Eloy à l'Espace Cardin
Anne Rey
*
LE NOUVEL OBSERVATEUR
N° 343, du 7 au 13 juin 1971
Musique
L'autre Boulez
Maurice Fleuret
*
LES LETTRES FRANÇAISES
16 juin 1971
Une création de Jean-Claude Eloy
à l'Espace Cardin :
Faisceaux-Diffractions
Martine Cadieu
*
REVUE DU DISQUE
Septembre 1973
JEAN-CLAUDE ELOY
Faisceaux-Diffractions
Harry Halbreich
*
DIAPASON
Septembre 1973, n° 179
ELOY Jean-Claude
Faisceaux-Diffractions
Didier Alluard
*
MICRO ET CAMERA
Septembre 1973, n° 51
Les nouveaux disques "inédits" O.R.T.F.
Jean-Claude Eloy et Michel Zbar
Jacques Bourgeois
*
PANORAMA INSTRUMENTAL
Septembre 1973
Fais-ceaux - Diffractions de Jean-Claude Eloy
Jean Roy
*
L'EXPRESS
Septembre 1973
disques
JEAN-CLAUDE ELOY
Sylvie de Nussac
*
BBC MAGAZINE
Londres.
Janvier 1974
Jean-Claude Eloy
Henri-Louis de la Grange
*
LE MONDE
31 Octobre - 1er Novembre 1976
ARTS ET SPECTACLES
Musique plus
avec l'Orchestre des pays de la Loire
Jacques Lonchampt
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FAISCEAUX-DIFFRACTIONS
Presse (Français)
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WASHINGTON POST
31 octobre 1970
Festival de musique Coolidge
Par Paul Hume
Une ouverture de Beethoven a donné
le ton de la 14ème édition du festival Coolidge de musique
de chambre, qui a débuté hier soir à la Bibliothèque
du Congrès, et qui se conclura dimanche sur des sonates de Beethoven.
Mais le centre d'intérêt de ces festivals a toujours été
les nouvelles uvres commanditées par les diverses fondations
de la Bibliothèque en quête de nouvelles créations
musicales, notamment la Coolidge et la Koussevitsky Foundation. Le programme
d'hier soir s'articulait autour de trois de ces uvres. [
]
L'uvre de Beethoven représentée hier soir en guise
d'introduction était l'ouverture de sa pièce intitulée
"Les Créatures de Prométhée". Au fil des
notes des trois uvres au programme, Beethoven semblait un instant
rester l'unique Prométhée du concert.
Cependant, lorsque retentit la dernière pièce parmi les
trois, une uvre intitulée "Faisceaux-Diffractions"
du compositeur français Jean-Claude Eloy, il était soudain
clair qu'il s'agissait d'une musique extraordinaire, non seulement nouvelle
pour tous ses ancêtres immédiats, mais le fruit d'une imagination
musicale profondément originale mariée à une oreille
douée d'une perception inhabituelle.
La musique d'Eloy a été composée pour 28 instruments
répartis en trois orchestres symétriques placés à
gauche, au centre et à droite de la scène. A l'exception
de deux guitares, d'un orgue et d'une harpe électriques, ainsi
que d'une multitude de percussions, tous les instruments entraient dans
la catégorie des vents, des bois et des cuivres. "Faisceaux",
un terme dérivé du latin "fasces" qui, d'histoire
récente, est devenu le symbole des Fascistes, désigne les
axes ou pôles fixes autour desquels l'uvre d'Eloy s'ordonne
tonalement.
Elle dénote une riche exploration et exploitation de sonorités
équilibrées entre des sons puissants résonnant en
masse, indéfiniment soutenus, et des structures délicatement
tracées s'échappant des guitares, du marimba, du célesta,
des vibraphones et de la harpe. Les guitares, dont une basse, et leur
trémolo remarquablement utilisé pour créer divers
degrés de vibrations et toute leur gamme de dynamiques, obtenus
par amplification, offrent un nouveau son dans ces contextes.
Qui plus est, Eloy jongle très subtilement entre les maintes possibilités
de variations en termes de texture et de timbre en frappant les différentes
percussions avec des maillets de bois, de feutre, doux et durs. L'orgue,
lui aussi, ajoutait une présence et une couleur particulières.
Les cuivres sont très étouffés aux premières
phrases de l'uvre. Mais au fil de leur progression vers un crescendo
visiblement long, ils s'expriment à voix ouverte et donnent cours
à une tonalité accentuée d'une série de grands
points culminants. Dans cette uvre, Eloy s'attache moins à
faire défiler le temps mesuré qu'à combler par les
sons le temps et l'espace. Il possède une voix originale dans un
domaine que Ligeti et Isang Yun ont déjà exploré.
Fort d'objectifs différents, d'une formation et d'une expérience
françaises, il compose une musique à la fois puissante et
profondément personnelle. "Faisceaux" est deux fois plus
longue que les deux autres uvres présentées en avant-première.
[
]
PAUL HUME
_______________________________________________
THE EVENING STAR
Washington, D.C.
Samedi 31 octobre 1970
ACTUALITES MUSIQUE
Le festival Coolidge démarre sur une bonne note
Par Irving Lowens
Rédacteur attitré du Star
Orchestre de chambre, Arthur Weisberg,
chef d'orchestre. Soliste; Jan DeGaetani, mezzo-soprane. Coolidge Auditorium,
Bibliothèque du Congrès. 14ème édition du
festival Coolidge de musique de chambre. Programme 1: Ouverture, Les Créatures
de Prométhée, Op. 43, Beethoven; Sicut Umbra, pour mezzo-soprane
et 12 instruments (1ère mondiale), Dallapiccola; Floréal,
pour orchestre de chambre (1ère mondiale), Kelemen; Faisceaux-Diffractions,
pour orchestre de chambre (1ère mondiale), Eloy; Extraits, Les
Créatures de Prométhée, Op. 43. N° 15-16, Beethoven.La
14ème édition du festival Coolidge a commencé sur
une bonne note hier soir à la Bibliothèque du Congrès.
Cette importante manifestation musicale attire l'attention du monde entier
et le public convié la veille comprenait un grand nombre de visiteurs
étrangers à la ville. [
]
L'uvre inédite entendue après l'entr'acte était
"Faisceaux-Diffractions" de Jean-Claude Eloy, une pièce
pour orchestre de chambre aux antipodes de celle de Kelemen. Eloy, qui
n'utilise aucun instrument à cordes, répartit ses cuivres,
ses vents et ses percussions en trois groupes assez égaux et injecte
une paire de basses électroniques outre ce qui semblait être
un petit orgue électronique pour s'évader dans des courses
sonores on ne peut plus particulières.
L'association des timbres instrumentaux inhabituels était rehaussée
de techniques de développement peu connues et d'harmonies brutalement
violentes. La fin dévoila quelques moments parmi les plus fascinants,
lorsque trois trompettes échangeaient une note unique sur fond
de chaos.
C'était une horrible chose, mais empreinte d'individualité,
et cela captiva le public. Le volume frisait par moments le seuil de la
douleur.
Le retour à l'uvre "Les Créatures de Prométhée"
pour couronner le concert était étrangement efficace. Après
le grand nettoyage d'oreilles assuré par Eloy, la composition de
Beethoven exhalait une innocence au point d'être naïve et semblait
aussi tonifiante qu'un verre d'eau glacée. [
]
IRVING LOWENS
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THE NEW YORK TIMES
DIMANCHE 1er NOVEMBRE 1970
Le festival de musique de chambre offre 3 nouvelles uvres à
la capitale
Par Donald Henahan
Pour le New York Times
WASHINGTON, 31 OCT - [
]
La 14ème édition du festival de musique de chambre parrainé
par la Elizabeth Sprague Coolidge Foundation a ouvert ses portes hier
soir à la Bibliothèque du Congrès et présenté
trois nouvelles pièces en guise de hors-d'uvre: "Sicut
Umbra" de Luigi Dallapiccola, "Floreal" de Milko Kelemen,
et "Faisceaux-Diffractions" de Jean-Claude Eloy.
La sélection était intrigante, allant de la pièce
classique à 12 tons de M. Dallapiccolato (66 ans) à celle
de M. Eloy (32 ans), uvre monumentale antisérielle et statique
pour 28 instrumentistes, incluant guitare électrique et basse électrique.
[
]
Les nouveaux gestes de la soirée étaient signés M.
Eloy, compositeur français ayant étudié plusieurs
années avec Pierre Boulez avant de repousser les limites du sérialisme
que ce dernier considère actuellement comme le meilleur espoir
de la musique. En réalité, malgré son rejet des méthodes
sérielles rigides, "Faisceaux-Diffractions" gardait une
attache auditive plutôt fidèle à des compositeurs
plus âgés.
M. Eloy a réparti 28 musiciens (percussions et vents uniquement,
aucune corde) en trois groupes plus ou moins indépendants, chacun
levant ses propres armées de sons et les envoyant se battre ou
déclarer des trêves provisoires avec d'autres forces. Les
tremolos et vibratos des guitares amplifiées étaient efficacement
exploités, de même que diverses méthodes de distorsion
sonore largement appliquées dans le domaine de la musique populaire.
Le mouvement communiqué dans la pièce
provenait,
d'une part, de la montée continuelle et de la soudaine libération
des tensions harmoniques et dynamiques, et, d'autre part, du contraste
entre les grands conglomérats d'accords et les vrilles associées
de sons relativement peu complexes. Face à cet ensemble, l'auditeur
ne pouvait songer qu'aux uvres granitiques et statiques d'Edgar
Varèse et de disciples tels Ralph Shapey, qui écrivait déjà
ce genre de pièce 15 ans auparavant, si ce n'est plus tôt
encore.
Le caractère profondément moderne de la pièce de
22 minutes de M. Eloy provenait de cette indifférence apparente
au mouvement en vue du développement d'une idée, notamment
lors des minutes finales [
] Tant de jeunes compositeurs et autres
musiciens ont tenté de recréer cette impression arrêtant
le temps, façon Ligeti, Cage ou Stockhausen (ou tel le morceau
"Hey, Jude" des Beatles), que nous assistons sans doute à
une déflection considérable dans l'esthétique de
la musique occidentale. [
]
Toutes les nouvelles uvres présentées ce soir-là,
ainsi que les extraits tirés de la pièce "Les Créatures
de Prométhée" de Beethoven, étaient dirigées
par Arthur Weisberg et jouées par un ensemble comprenant ses propres
interprètes de musique de chambre contemporaine. [
]
Les nouvelles pièces toutes commanditées par la Coolidge
Foundation et la Koussevitzky Foundation ont bénéficié
de performances visiblement très bien préparées.
[
]
DONALD HENAHAN
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LE MONDE
5 juin 1971
SPECTACLES
Marietan, Ohana et Eloy à l'Espace Cardin
Les concerts de l'ensembIe Ars Nova à
l'Espace Cardin sont tous d'intéressantes aventures, tel le dernier,
qui, sous la direction de Boris de Vinogradow, associait le plus irritant
au meilleur. [
]
La première audition de Fais-ceaux-Diffractions (1970) de Jean--Claude
Eloy nous mettait enfin en présence d'une uvre mystérieuse,
belle et d'un constant pouvoir d'attraction: "hétérophonie
de masses, construite autour de quelques axes permanents et fixes",
que se distribue un ensemble de vingt-huit musiciens répartis en
trois orchestres symétriques. Matérialisés entre
autres par deux guitares électriques (imi-tant en particulier le
son du shakuhachi et les émissions vocales du nô), des "faisceaux"
culturels issus de la traditIon orientale y semblent peu à peu
digérés par des moyens de réali-sation occidentaux
qui en "diffractent" le parcours: une étroite parenté
stylistique unifie et oriente vers leur dénouement (l'unisson repris
en écho et balayant l'espace sonore), les dif-férents moments
de cette parti-tion, charriant d'abord d'un pôle à l'autre,
sur une lave très étirée de trémolos, des
particules sonores plus dures, bientôt pulvérisées
en parcelles microscopiques avant de s'ordonner, dans une séquence
dramatiquement très forte, en larges coulées parallèles.
ANNE REY
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LE NOUVEL OBSERVATEUR
N° 343, du 7 au 13 juin 1971
Musique
L'autre Boulez
[
]
Tendresse et sagesse
L'objectivité sonore, la lucidité
musicale, que Boulez a eu le grand mérite de nous apprendre, on
voit ici qu'elles ne mènent pas toujours à la transcendance.
Il me semble que Jean-Claude Eloy l'a fort bien compris après des
années d'exil, de révolte, de méditation et de silence.A
trente-trois ans, il remet en question une uvre courte et dense
("Etude III" 1962, "Equivalences" 1963, "Poly-chronies"
1964, "Macles" 1966) qui était jusqu'alors la plus digne
de poursuivre dans la voie aride et subtile ouverte par Boulez. Ses "Faisceaux-Diffractions",
dont Boris de Vinogradow vient de diriger la première européenne
avec l'ensemble Ars Nova, ajoutent à une stupéfiante maîtrise
d'écriture la magie palpitante des incantations orientale. Comme
dans "Mantra" de Stockhhausen, c'est toute la tendresse et sagesse
des musiques du monde qui est concentrée en faisceau et diffractée
par le langage actuel.
Ainsi, la synthèse tant attendue des idiomes sonores peut-elle
s'accomplir autant par le sincère et juste emploi de la poétique
musicale que par la dureté stylistique. [
]
MAURICE FLEURET
________________________________________________
LES LETTRES FRANÇAISES
16 juin 1971
Une création de Jean-Claude Eloy à l'Espace Cardin :
Faisceaux-Diffractions
[
] un concert "Ars Nova",
direction Boris de Vinogradov, à l' "Espace Cardin".
[
]
Enfin, après ces purgatoires, l'éclatement de la musique
d'Eloy.
Jean-Claude Eloy a passé deux ans aux Etats-Unis et il y a longtemps
que nous n'entendions plus sa musi-que. Il vient de recevoir le prix de
la S.A.C.E.M. et Maurice Fleuret l'a heureusement choisi pour une "journée"
des "Semaines de la musique contemporaine", à l'automne,
à Paris.
Ici nous retrouvons la richesse d'imagination - jamais débridée
mais toujours exultante, fraîche, neuve - la rigueur qui n'est jamais
raideur mais qui est maîtrise et possibilité d'épanouissement,
les justes choix et les justes équilibres. Dès les premiers
instants, nous entendons un accent vrai, original,
Dans "Faisceaux-Diffractions", l'ensemble instrumental est divisé
en trois orchestres symétriques placés à gauche,
en face et à droite du musicien. Ces orchestres sont parfois nettement
indépendants, le chef pouvant alors distribuer les signes affectés
à chaque orchestre suivant une combinaison très variable
(je cite l'auteur). Dans son ensemble, "Faisceaux-Diffractions"
est une hétérophonie de masses, construite autour de quelques
axes ou pôles permanents et fixes. La forte "immobilité"
de ces champs harmoniques n'est pas sans analogie avec les options théoriques
servant de bases à certaines musiques dites "modales"
telles qu'elles se pratiquent dans divers pays d'Orient.
C'est l'Orient qui, à l'écoute, m'a d'abord frappée;
climat qui existait dans "Etude III" (1962) avec certains aspects
du gagaku japonais, dans "Equivalences" (1963): le Tibet. Ici
les guitares électriques (il y en avait déjà dans
"Macles", uvre tirée de la musique du film "La
Religieuse") avec leurs résonances méditatives rappellent
le sitar Indien. De grandes ruptures verticales comme des pans d'ombre
évoquent la musique japonaise, des constellations tournantes parmi
des fils ténus, enchevêtrés, sont parfois brutalement
détruites, comme éclatées, dans un cri violent à
la Varèse. Étrangement, cette uvre ambiguë contient
deux mondes dont I'un déforme l'autre, comme une vision dans des
miroirs cassés ou les facettes d'un cristal aux arêtes vives.
Des stridences brisent de longues et tremblantes contemplations. Des "événements"
précis, rapides, troublent un état visionnaire immobile.
Peut-être est-ce une rencontre de la lointaine profonde musique
orientale que les instruments occidentaux ne peuvent dire, de par leur
construction même (à demi-tons, tempérés).
Mais, plus encore: c'est un moment de découverte du compositeur
lui-même et le besoin de la dire, sans tricher, sans imiter, avec
sa voix à lui, voix que l'on reconnaît très bien dès
les premières mesures.
Pour moi, ces "faisceaux", s'ils se "diffractent"
à cause d'obstacles, d'écrans, brillent très intensément
dans une chaleur tour à tour exultante et désespérée:
l'objet de la contemplation est approché, touché, vu, puis
perdu, jamais possédé... Dans cette quête même,
dans cette tension, est le feu de la musique.
MARTINE CADIEU
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REVUE DU DISQUE
Septembre 1973
JEAN-CLAUDE ELOY (né en 1938)
Faisceaux-Diffractions
MICHEL ZBAR (né en 1942)
Swingle Novæ
Ensemble Ars Nova, dir. B. de Vinogradov. Dans Swingle Novæ: les
Swingle Singers, J.-M. Gouëlou (recitant), J. Cavallero (contrebasse),
M. Sabia-tini (batterie)
Inédits ORTF 995038
Eloy a toujours été un homme
et un artiste sans concessions, et l'uvre que voici est, sans aucun
doute, d'un accès difficile. Elle exige, tout d'abord, une nouvelle
appréhension du temps musical, celle-là même que la
fréquentation des musiques d'Orient commence à nous rendre
un peu plus familière. Puis, la tension sonore et expressive qui
unifie cette uvre demande de l'auditeur un degré de participation,
d'engagement, assez peu commun. D'emblée, nous sommes captivés
par cet univers sonore mystérieux, qui doit sa couleur particulière
à la présence de la guitare électrique (traitée
à la manière d'un sitâr indien, avec ses portamenti
et ses sons modulés), de la harpe et des vents, ramassés,
surtout au début, dans le registre grave. Cette magie sonore très
envoûtante, dont le caractère oriental est également
dû à une conception particulière du son, "impur"
selon nos critères à nous (cordes rebondissant sur la table
d'harmonie, ornements infra-chromatiques, etc.), s'élève
peu à peu jusqu'à une puissance abrupte très varésienne,
dont les éclats alternent avec des plages quasi statiques, sombres
et mystérieuses. Lorsque naissent ensuite des efflorescences féeriques,
élargissant l'ambitus vers l'aigu, voire le suraigu, le continuum
angoissant d'une pédale dissonante entretient la tension. Quelques
sono-rités de trompes graves évoquent le Tibet. C'est là
un univers clos, obsédant, sombre et tragique, servi comme il l'est
par la perfection de forme, d'écriture et de réalisation
sonore que nous som-mes habitués à trouver sous la plume
d'Eloy, musicien exigeant s'il en est. Et cette grande page si impressionnante
culmine en une fin féroce et stridente, magnétisée
par une tenue aiguë de trompette qui, demeurée seule, s'évanouit
lentement... Boris de Vinogradov et les musiciens de l'Ensemble Ars Nova
donnent de cette uvre particulièrement difficile une interprétation
parfaite, la meilleure des quatre que j'aie entendues jusqu'ici.
La confrontation des uvres d'Eloy et de Zbar me rappelait la réflexion
de Varèse, si juste, paradoxale en apparence seulement: "Le
talent fait ce qu'il veut, le génie, ce qu'il peut." Du talent,
Michel Zbar, brillant élève de Messiaen qui vient de passer
le cap de la trentaine, en a à revendre. Il serait dommage qu'il
l'entraîne sur la pente d'une facilité commerciale dont Swingle
Novæ offre trop de traces. [
]
HARRY HALBREICH
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DIAPASON
Septembre 1973, n° 179ELOY Jean-Claude (né en 1938)
Faisceaux-Diffractions (1)
ZBAR Michel (né en 1942)
Swingle Novæ (2)
Les Swingle Singers ; J. M. Gouëlou, récitant
J. Cavallero, basse ; M. Sabiani, batterie (2) ;
Ens. Ars Nova, dir. B. de Vinogradow (1) (2)
Inédits ORTF (30) 995.038 (36,80 F).
* INTERPRETATION 8
* QUALITE TECHNIQUE 7,5
La fascination de la musique actuelle par
l'Orient n'est pas du tout la conséquence d'un prétendu
abandon des valeurs sur lesquelles la musique occidentale serait supposée
devoir éternellement reposer, mais marque l'aboutissement d'une
poussée historique qui s'est révélée dès
le début du siècle et n'a cessé depuis de s'affirmer.
Cette rupture du cercle d'Occident, que Debussy déjà préconisait,
manifeste un déplacement de la conscience musicale contemporaine:
refus du dérisoire bavardage d'une certaine musique sérielle,
volonté de dépasser une combinatoire sommaire pour enrichir
la musique occidentale de nouvelles dimensions; la vie interne du matériau
sonore, le temps.
Les dangers d'une telle démarche sont de deux ordres: reproduction
stérile des modèles orientaux (Reich, Riley), et surtout,
tentation permanente, au contact de traditions musicales qui masquent
leurs plus strictes conventions sous l'apparence de la plus extrême
liberté, de réhabiliter l'ineffable, le mystère,
au nom d'une soi-disante subversion du rationalisme occidental (Stockhausen).
Les partitions récentes de Jean-Claude Eloy, cependant, évitent
ces deux écueils. "Je ne cherche nullement à imiter,
nous dit Eloy. Mon but n'est pas de refaire telle ou telle musique
orientale jusqu'à pouvoir obtenir le label de copie confor-me !
Ce qui compte, c'est d'essayer de capter, au plus profond, les noyaux
de certains phénomènes, pour ensuite les recréer".
C'est ainsi, par exemple, que "Faisceaux-Diffractions", écrit
en 1970, adopte, tout en l'insérant dans une écri-ture polyphonique
entièrement occiden-tale, une démarche fondamentale des
musiques d'Orient: l'immobilité des champs harmoniques, fixés
pour toute l'uvre, s'accompagne d'une ornementation dont la densité
augmente peu à peu. Il s'agit en somme de l'enrichissement progressif
d'un matériau pré-établi, immuable et répétitif;
processus parfaitement oriental dans son principe, traité ici dans
l'esprit d'organisation propre à l'Occident. Mis à part
les glissés de la guitare électrique, allusifs à
certains modes de jeu des instruments à cordes pincées de
l'Inde, la partition, du point de vue du langage, ne se réfère
jamais directement à l'Orient. C'est dire sa profonde originalité;
à ma connaissance, parmi les musiciens de sa génération,
Eloy est le seul à réaliser une synthèse aussi forte,
en dehors de toute anecdotisme folklorisant comme de tout ésotérisme
mystificateur. On peut facilement déceler les raisons de cette
réussite: si Eloy est parvenu à intégrer à
sa pensée la leçon des grandes traditions musicales orientales
sans rien renier de ses acquis, c'est qu'il a lui-même vécu
en compositeur le conflit entre "héritage et vigilance",
entre la nécessité dé rigueur, dont témoigne
la poétique post-boulézienne de ses premières uvres,
et le besoin de faire éclater le champ trop étroit de la
pratique musicale occidentale, avant que la répétition et
la caricature ne la vident de tout contenu. - C'est de ce conflit, organique
aussi bien que dramatique, que "Faisceaux-Diffractions" tire
la violence secrète qui l'anime de bout en bout. [
]
DIDIER ALLUARD
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MICRO ET CAMERA
Septembre 1973, n° 51
Les nouveaux disques "inédits" O.R.T.F.
Jean-Claude Eloy et Michel Zbar
Enfin la récente publication des
"Inédits O.R.T.F." fait sa place à l'avant-garde
dans un disque qui couple avec bonheur deux compositeurs de la jeune école
française: Jean-Claude Eloy et Michel Zbar.
Faisceaux-Diffractions est sans
doute, à l'heure actuelle, une des compositions les plus remarquables
d'Eloy. Son tempérament de chercheur s'y affirme à travers
cette uvre, où l'espace-temps musical se trouve recréé
de façon absolument nouvelle.
Voici un univers sonore qui, en dépit d'une appréhension
de prime abord ardue, exerce sur l'auditeur un envoûtement constant.
Boris de Vinogradov, à la tête de l'Ensemble Ars Nova sait
en doser admirablement la magie. [
]
La prise de son, fort remarquable, ménage les jeux de timbre subtils
dont Ia différentiation par plans juxtaposés ou successifs
constitue un des éléments fondamentaux de cette musique.
JACQUES BOURGEOIS
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PANORAMA INSTRUMENTAL
Septembre 1973
Dans la même collection: Faisceaux
- Diffractions de Jean-Claude Eloy et Swingle Novæ de
Michel Zbar, sous la direction de Boris de Vinogradow [
]
Jean-Claude Eloy nous fait don d'une magie sonore qui s'impose et se soutient,
se renouvelle jusqu'à la fin. La leçon de Boulez et les
modes orientaux sont assimilés en profondeur par un musicien qui
possède maintenant la force tranquille de ceux qui ont un langage
personnel et quelque chose d'important à dire.
JEAN ROY
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L'EXPRESS
Septembre 1973
disques
JEAN-CLAUDE ELOY
Faisceaux - Diffractions.
Ensemble Ars Nova, direction
Boris de Vinogradow.
Raffinement et violence, influence orientale
affrontée au meilleur de l'héritage occidental avec une
rare maïtrise d'écriture: cette page très dense et
très belle impose, une nouvelle fois, la voix de Jean-Claude Eloy
dans le concert contemporain. Pourquoi est-il si peu enregistré?
(Inédits-O.r.t.f.)
SYLVIE DE NUSSAC
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BBC MAGAZINE
Londres.
Janvier 1974
Jean-Claude Eloy
L'ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE LA BBC débute
sa série de concerts au Round House le 21 janvier avec une uvre
française, Faisceaux-diffractions, d'Eloy. Cette présentation,
une première en Angleterre, sera dirigée par Pierre Boulez.
Né en 1938, Jean-Claude Eloy est sans nul doute l'une des personnalités
les plus marquantes de sa génération. Bien qu'ancien élève
de Milhaud et de Messiaen au Conservatoire de Paris, la vraie vocation
d'Eloy en tant que compositeur remonte seulement à 1961, tandis
qu'il suit les cours de composition de Pierre Boulez à Bâle.
C'est peu après qu'il écrit Equivalences, uvre
pour 18 instruments entendue pour la première fois en 1963 à
Donaueschingen, puis au Domaine Musical, les deux sous la direction de
Boulez. Eloy a alors déjà beaucoup voyagé et appris
à connaître les traditions musicales orientales dans lesquelles
ses compositions ont souvent puisé leur inspiration, parfois même
une partie de leur substance propre.
Dans Équivalences, les longues pauses, l'immobilité
sont, de son propre aveu, un distant écho de la musique traditionnelle
japonaise, alors que l'opposition des éléments contrastés
(statique-dynamique, continuité-rupture) sur lesquels l'uvre
est fondée doit beaucoup à l'Orient ou, plutôt, illustre
une réaction occidentale à la musique orientale.
De même, Diffractions, commandée par la Bibliothèque
du Congrès américain et créée à Washington
en 1970, révèle de nombreuses influences orientales. Quelques
notes se prolongent pendant la plus grande partie de l'uvre, créant
une " immobilité " fondamentale (telles les notes de
"fond" de la musique hindoue) et servent de "pôles
de délimitations" qu'Eloy compare aux modes orientaux. La
conception même de la composition repose effectivement sur l'opposition
des deux traditions musicales; les faisceaux (tout comme des rayons de
lumière) émis par les cultures orientales pénètrent
la conscience du compositeur et sont "diffractés" par
des obstacles ou des écrans, en d'autres termes, l'univers polyphonique
occidental.
Eloy est l'un des rares compositeurs actuels dont l'uvre réserve
à l'Orient un rôle d'une telle importance. Même le
non-initié le remarquera immédiatement dans Diffractions,
où les "glissés" mélodiques de la guitare
électrique imitent les techniques "vocales" typiques
du sitar hindou ou du biwa japonais. D'un point de vue plus élevé,
la nostalgie d'un paradis perdu de création musicale spontanée
que ressent le musicien occidental avant-gardiste est une autre force
motrice dans cette uvre. Pour reprendre les termes d'Eloy, la musique
est "à la fois chromatique et modale", et les masses
de sons (les trois ensembles orchestraux) sont "déformés
par une ornementation chromatique dense, constamment variée, mobile,
qui sans cesse rompt, modifie et transforme la continuité modale
du cycle, sans jamais réussir à le détruire".
A l'instar du jeune Boulez, Eloy est un personnage explosif et iconoclaste.
En 1965, il attaque courageusement André Malraux, alors ministre
de la Culture, pour l'incohérence de sa politique dans le domaine
musical, pour son manque d'intérêt total face aux problèmes
de l'enseignement musical et pour son choix des compositeurs se voyant
confier les commandes de l'Etat. Eloy refuse alors toute relation avec
la France tant que de telles conditions régneraient.
C'est ainsi, comme Boulez quelque temps auparavant, qu'il choisit de quitter
son pays natal, mais les Etats-Unis, où il devient professeur d'analyse
musicale à l'université de Californie à Berkeley,
infligent des blessures bien plus profondes à sa nature hypersensible.
La brutalité dont il est témoin lors des émeutes
estudiantines de Berkeley a suscité en lui un vif dégoût
pour la violence physique. C'est là qu'il s'imprègne d'une
nouvelle conscience du monde, qu'il allait sans tarder exprimer dans Faisceaux-diffractions.
Eloy émet sa "profession de foi", à son retour
en France, dans un article intitulé Héritage et Vigilance.
Celui-ci décrit l'attitude actuelle du compositeur vis-à-vis
du passé, vis-à-vis de l'héritage de Webern et Boulez.
Pour Eloy, comme pour tous les créateurs solides et lucides, les
conflits les plus simples se sont avérés les plus productifs.
Sa propre solution est d'être "l'héritier vigilant"
non seulement de Boulez, mais également de deux univers musicaux,
l'Orient et l'Occident.
Les deux mondes entrent en fusion dans Kamakala, l'uvre qu'Eloy
a par la suite composée pour trois orchestres et trois ensembles
vocaux, présentée pour la première fois en 1971 en
une version de 40 minutes, et qui sera peu après prolongée
pour durer deux heures. Depuis, Eloy a été invité
à Cologne par Stockhausen et son travail au Westdeutscher Rundfunk
a donné naissance à une longue uvre électronique
intitulée Shanti, laquelle sera créée au festival
de Royan en mars prochain.
L'on peut s'attendre à beaucoup de la part d'Eloy, si ce n'est
parce qu'il place la barre haut et parce qu'il n'est jamais satisfait
de lui-même ou de ses accomplissements passés. Faisceaux-diffractions
affiche une intensité expressive, une richesse de contenu et une
irisation sonore rarement rencontrées dans la musique française
depuis Debussy. Il s'agit sans aucun doute de la composition la plus originale
produite en France depuis Le Marteau sans maître, ni "difficile",
ni ésotérique, ni même rébarbativement avant-gardiste.
Sa spontanéité apparente la rend facilement accessible.
Qui plus est, elle pourrait bien représenter l'effort jusqu'ici
le plus réussi en termes de synthèse musicale entre l'Orient
et l'Occident.
HENRI-LOUIS DE LA GRANGE
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LE MONDE
31 Octobre - 1er Novembre 1976
ARTS ET SPECTACLES
Musique plus
avec l'Orchestre des pays de la Loire
Les programmes de musique contemporaine
sont rarement aussi séduisants que celui qui était présenté
mardi soir par Musique Plus avec l'Orchestre des Pays de la Loire,
excellent tout au long, sous la direction d'Ivo Malec. Celui-ci a le don
de faire vivre les uvres modernes, non seulement par la précision
de ses gestes toujours significatifs, mais surtout grâce à
une présence très rayonnante et enthousiaste. [
]
Mais l'acoustique se chargeait de remplir la salle du sous-sol de Wagram,
souvent copieusement saturée par les opulentes sonorités
de Faisceaux-Diffractions (1970), l'uvre de Jean-Claude Eloy.
Celle-ci exerce une sorte d'envoûtement par la richesse de ses alliages,
la puissance des ébranlements massifs, la profondeur des champs
sonores répartis en trois groupes qui se font écho, et les
éclats des évènements qui vibrent ou explosent à
la surface, notamment les deux guitares électriques aux allures
asiatiques [
]
JACQUES LONCHAMPT
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