EQUIVALENCES
Presse (Français)
________________
DARMSTÄDTER ECHO
Lundi 22 Juillet 1963
19e année / Nr. 166
Die erste Reihenkomposition
La première série de compositions
Concert de musique de chambre sous la direction de Pierre Boulez
W.
*
DARMSTÄDTER
Juillet 1963
225e année / Nr 166
Klang-Aktionen und Serenaden-Töne
Actions sonores et accents de sérénade
Concert de musique de chambre de l'université d'été
du Kranichsteiner sous la direction de
Pierre Boulez
V. L.
*
FRANCE SOIR
Vendredi 1er Novembre 1963
CELA S'EST PASSE
"DOMAINE MUSICAL"
AU THETRE DE FRANCE
André Malraux a rendu hommage à
Olivier Messiaen
Jean Cotté
*
LE MONDE
2 novembre 1963
AU "DOMAINE MUSICAL"
"Sept Haïkaï"
d'Olivier Messiaen
Robert Siohan
*
PARIS-PRESSE L'INTRANSIGEANT
2 Novembre 1963
LES GRANDS CONCERTS
par
Claude Samuel
La musique en kimono d'Olivier Messiaen
*
LE FIGARO LITTÉRAIRE
Novembre 1963
LA MUSIQUE
par
Claude Rostand
Ouverture au
"Domaine musical"
*
ARTS
6 Novembre 1963
la musique et la danse
par
Jacques Bourgeois
Sous le signe de l'exotisme
le domaine musical prend un bon départ
*
FRANCE OBSERVATEUR
7 novembre 1963
MUSIQUE
J.-C. Eloy : un nom à retenir
Maurice Fleuret
*
LES LETTRES FRANÇAISES
Nž 1.002 Du 7 au 13 novembre 1963
LA MUSIQUE
par
Suzanne Demarquez
MESSIAEN
ET
BOULEZ
au Domaine Musical
*
LE GUIDE DU CONCERT
23-29 Novembre 1963
LE DOMAINE MUSICAL
(Odéon-Théâtre de France le 30 octobre)
Suzanne Demarquez
|
|
ÉQUIVALENCES
Presse (Français)
________________________________________________
DARMSTÄDTER ECHO
Lundi 22 Juillet 1963
19e année / Nr. 166
Die erste Reihenkomposition
La première série de compositions
Concert de musique de chambre
sous la direction de Pierre
Boulez
[...] Plus vivace, plus
pleine, plus vitale encore fut "Equivalences", uvre d'un
jeune compositeur de vingt-cinq ans, Jean-Claude Eloy, qui a été
l'élève de Darius Milhaud, puis de Pierre Boulez. Alors
que Lehman ne faisait un usage que très modéré de
la batterie, avec Jean-Claude Eloy il s'agit carrément d'un concert
pour trois batteurs (Christoph Caskel, Heinz Hædler, Rolf Rossman)
accompagnés par des bois et des cuivres, un piano et une harpe.
Les applaudissements du public pour saluer la brillante création
de cette pièce tout aussi brillante ont été d'une
intensité et d'une unanimité extraordinaires.
[...] Pierre Boulez que l'on apprend à apprécier chaque
fois davantage comme chef et interprète de génie a également
exécuté les trois compositions suivantes du programme de
la soirée d'une manière exemplaire et idéale.
W.
________________________________________________
DARMSTÄDTER
Juillet 1963
225e année / Nr 166
Klang-Aktionen und Serenaden-Töne
Actions sonores et accents de sérénade
Concert de musique de chambre de l'université d'été
du Kranichsteiner
sous la direction de Pierre Boulez
Le concert de musique de chambre de samedi
s'est déroulé sous le signe du chef et professeur Pierre
Boulez qui dirigeait la Sérénade opus 24 de Schönberg.[...]
Avant, il y avait eu des créations ou des premières où
l'on avait pu reconnaître partiellement le maître ou le modèle
Boulez. Ceci, dans le sens où il y avait une inspiration et où
il ne s'agissait pas d'une simple imitation, comme avec "Equivalences"
de Jean-Claude Eloy. Il y avait une empreinte personnelle dans le commandement
des actions sonores, les accords de piano auxquels venaient s'ajouter
des sonorités électroniques, et les effets pianissimo de
la batterie, faisaient front aux accents dramatiques éclatants.
Puis subitement s'élevait une tension, qui s'exprimait aussi bien
dans les passages violents et sonores que délicats et murmurés.
On assiste ici à un déploiement d'art musical expérimenté.
Les contrastes s'accentuent et il ne subsiste plus que le jeu sonore.
Le vif succès remporté auprès du public est suffisamment
éloquent en soi. [...]
V. L.
_______________________________________________
FRANCE SOIR
Vendredi 1er Novembre 1963
CELA S'EST PASSE
"DOMAINE MUSICAL"
AU THEATRE DE FRANCE
André Malraux a rendu hommage à
Olivier Messiaen
M. André Malraux présidait
hier le premier concert de la saison du "Domaine musical" fondé,
il y a dix ans, par Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault et Pierre Boulez.
Le Théâtre de France est ainsi devenu le sanctuaire de la
musique contemporaine la plus avancée.
[...] Le talent ne mord pas tous les jours. Mais hier, une touche sérieuse:
"Equivalences", de Jean-Claude Eloy (vingt-cinq ans). Une très
belle matière, nourrie de sonorités extrême-orientales.
Il reste à leur donner une forme, mais le succès fut immédiat.
La salle comble et le ministre d'Etat ont applaudi si fort qu'une seconde
audition suivit immédiatement la première.
M. André Malraux, à la fin des sept "Haïkai"
d'Olivier Messiaen, se leva pour rendre hommage à cet auteur, notre
plus grand compositeur actuel. [...]
JEAN COTTÉ
_______________________________________________
LE MONDE
2 novembre 1963
AU "DOMAINE MUSICAL"
"Sept Haïkaï" d'Olivier Messiaen
Le dernier concert du Domaine musical comptera
certainement parmi les plus réussis, avec quatre premières
auditions groupées autour des deux auteurs, Stravinsky et Webern,
qui, avec des ouvrages conçus il y a près d'un demi-siècle,
nous sont apparus comme les initiateurs de ce style nouveau que nous voyons
maintenant fleurir chez les compositeurs de la jeune génération.
[...]
Les Equivalences de Jean-Claude Eloy, jeune compositeur de vingt-cinq
ans, sont évidemment d'une autre trempe: et le public ne s'y est
pas trompé, qui a obtenu le bis par la chaleur de ses applaudissements.
Créée à Darmstadt en juillet 1963, exécutée
à Donaueschingen il y a quelques jours, cette partition a été
écrite à la demande de Pierre Boulez. Le titre se réfère
à une recherche d'équilibre entre des forces contraires.
Bien qu'encore quelque peu figée dans une attitude expérimentale
cette uvre est celle d'un vrai musicien, qui témoigne de
dons évidents dans le jeu des contrastes et le maniement des timbres,
l'ensemble s'inscrivant dans un style baroque fort attrayant.
Le clou de la soirée était une uvre nouvelle de Messiaen
intitulée Sept Haïkaï, inspirée au compositeur
par les impressions recueillies au cours de son récent voyage au
Japon. Dans son esprit, elle devait se substituer à une partition
de musique de chambre qui lui avait été commandée
par la Direction générale des arts et lettres à l'occasion
du centenaire Debussy. Cette substitution s'étant effectuée
avec l'accord de M. André Malraux, il s'agit donc d'une véritable
commande faite directement à un grand compositeur contemporain
par le ministre, qui avait tenu à donner à son geste toute
la solennité désirable en assistant en personne à
sa première exécution, marquant ainsi tout l'intérêt
qu'il entend porter à l'art musical vivant. [...]
Magnifique soirée en vérité, résultat d'un
travaIl acharné (dix-huit répétitions) sous la direction
magistrale de Pierre Boulez, maître d'uvre du Domaine musical,
qui avait tenu à dédier spirituel-lement le concert à
la mémoire de Roger Désormière.
ROBERT SIOHAN
_______________________________________________
PARIS-PRESSE L'INTRANSIGEANT
2 Novembre 1963
LES GRANDS CONCERTS
par Claude Samuel
La musique en kimono d'Olivier Messiaen
Nous savions que la musique
japonaise moderne s'occidentalise. Or le dernier concert du Domaine Musical
nous a appris que les compositeurs occidentaux ne sont pas in-grats et,
à leur tour, se mettent à l'écoIe japonaise. Démonstration
brillante avec Stèle pour Sei Shônagon (poétesse japonaise
du Xe siècIe) de Pierre Froidebise, les 3 Poèmes de la lyrique
japonaise d'Igor Strawinsky, les Sept Haïkaï (en sous titre:
esquisses japonaises) d'Olivier Messiaen, et même les Equivalences
de Jean-Claude Eloy dont l' auteur nous dit: "Notons l'écho
de certaines musiques traditionnelles japonaises" [...]
Remarquons néanmoins que l'ambassadeur du Japon ne présidait
pas le concert; en revanche, M. André Malraux était venu
assister discrètement au Théâtre de France aux débuts
de la saison 1963-64 du Domaine Musical.
L'intérêt majeur de ces débuts, outre ce flirt japonais,
c'était la création mondiale des Sept Haïkaï,
le dernier ouvrage d'Olivier Messiaen. [...] L'écriture instrumentale
en est superbe, très fine et très variée, et le 4e
mouvement intitulé "Gagaku" est particulièrement
impressionnant. Ces Haïkaï furent dirigés (comme l'ensembIe
du programme) par Pierre Boulez [...] Cette soirée comportait aussi
trois créations françaises: la Suite op. 11 [...] de l'Anglais
Alexandre Goehr, Stèle pour Sei Shônagon du compositeur belge
Pierre Froi-debise, [...] et Equivalences de Jean-Claude Eloy.
Substance
Profonde
Cette dernière oeuvre, grâce
à l'originalité de sa substance profonde et à la
subtilité de son orchestration (notamment l'emploi bien dosé
des possibilités du Groupe de percussion de Strasbourg) a exercé
une véritable fascination sur le public du Domaine Musical et a
du être bissée. Jean-Claude Eloy, âgé de 25
ans, peut aujourd'hui être considéré comme un des
espoirs de la jeune école française.
CLAUDE SAMUEL
______________________________________________
LE FIGARO LITTÉRAIRE
Novembre 1963
LA MUSIQUE
par Claude Rostand
Ouverture au "Domaine musical"
Au seuil de sa onzième saison, le
Do-maine musical nous montre que sa vitalité n'a pas faibli depuis
les jours héroïques du Petit Marigny, et cela malgré
les aventures et dérapages toujours possibles: Pierre Boulez fait
salle comble, et cette salle est grande puisqu'il s'agit de l'Odéon-Théâtre
de France.
Cinq concerts nous sont annoncés pour cet hiver, concerts où
vont déferler et se mêler trois vagues distinctes: celle
des aînés, les classiques contemporains com-me Schönberg,
Stravinsky, Webern, Varèse ou Messiaen; celle de la génération
de Boulez lui-même, c'est-à-dire, en gros, les plus de trente
ans; celle, enfin, des moins de trente ans, qui marque déjà
un certain décalage sur la précédente, et qui, comme
celle-ci, sera représentée par une dizaine de premières
auditions. [...]
Le meilleur moment concert a sans doute été l'audition de
l'uvre du cadet des auteurs figurant au programme: Équivalences
pour douze instruments et six percussions de Jean-Claude Eloy, jeune compositeur
français de ving-cinq ans dont j'ai déjà dit la semaine
dernière quel succès il avait remporté au récent
festival de Donaueschingen. Ici, le succès a été
encore plus marqué et il a fallu bisser cet ouvrage parfaitement
proportionné et équilibré. Le défaut de beaucoup
de compositions de la jeune école actuelle est justement, sous
le prétexte plus ou moins valable d'impératifs théoriques,
le manque de proportions et d'équilibre. Là tel n'est pas
le cas, dans cette uvre franche, riche, raffinée, transparente,
et qui est, évidemment bien du pays où Debussy a vu le jour.
Mais, que l'on se rassure, ce n'est pas du post-debussysme sériel,
pas plus que chez Boulez lui-même. La parenté est à
la fois profonde et lointaine.
A propos de Boulez, de précédentes auditions de ces Equivalences
m'avaient fait penser que Jean-Claude Eloy subissait peut-être encore
un peu trop l'influence de celui qui fut un temps son maître. À
réaudition, et toutes réflexions faites, ceci n'est pas
tellement sensible, et une personnalité très affirmée
se dégage finalement de ces pages où rien n'est laborieux,
où l'invention est sans cesse renouvelée avec spontanéité,
et où les poncifs du pointillisme et du tachisme musical sont heureusement
évités. L'écriture est fort jolie dans ses combinaisons
de timbres -, mais ce n'est pas du joli sucré. Il y a là
une verve instrumentale, vive dans ces oppositions et ces contraintes
qui sont voulus et ciselés avec soin, mais qui semblent surgis
d'un jaillissement naturel.
Je saluerai ici tout particulièrement la remarquable exécution
de cette partition, où l'EnsembIe instrumental du Domaine musical
et le Groupe à percussion de Strasbourg ont fait merveille: voici
de jeunes musiciens qui ont acquis une si prodigieuse technique dans ce
genre de prodigieuse difficulté qu'ils ne paraissent pas s'énerver
plus que s'il s'agissait d'une innocente berceuse de Chaminade. Une mention
toute spéciale doit être décernée aux six batteurs
de Strasbourg - trois barbus et trois non barbus - pour qui l'uvre
a été écrite. Ce sont des musi-ciens bIen sympathiques
par leur passion de la musique, par la qualité de leur travail,
et ils font preuve d'une virtuosité en souplesse dont je ne crois
pas qu'il soit possible actuellement de trouver un équivalent dans
le monde. [...]
Aussi ne résisté-je pas au devoir que je me sens de citer
les noms de ces prestigieux instrumentistes: Bernard Balet, Jean Batigne,
Lucien Droeller, Jean-Paul Finkbeiner, Georges van Gucht et Claude Ricou.
Ce sont de grands solistes que Pierre Boulez dirige avec le sobre raffinement
qui lui est habituel et qui nous rend impatient d'entendre le prochain
Wozzeck qu'il va conduire dans quelques jours à l'Opéra.
CLAUDE ROSTAND
______________________________________________
ARTS
6 Novembre 1963
la musique et la danse
par Jacques Bourgeois
Sous le signe de l'exotisme
le domaine musical prend un bon départ
Le "Domaine musical" à
ouvert sa saison sous le signe de l'Extrême-Orient. Des six compositeurs
figurant au programme, cinq en effet se sont inspirés de la Chine
ou du Japon.
L'événement majeur de ce concert était naturellement
la première audition de Sept Haïkaï d'Olivier Messiaen.
Cette uvre, sous titrée "esquisses japonaises pour piano
solo, xylophone, marimba, quatre percussions et petit orchestre",
est semble-t-il, le produit d'un voyage récent du compositeur à
Tokyo.
L'inspiration en est d'une richesse peu commune et, dans l'expression,
Messiaen approfondit encore ses recherches de timbres et de rythmes. Mais
tant est rigoureuse l'organisation interne, que la complexité même
du résultat s'impose à l'oreille au point que ces sons "inouïs"
deviennent tout à coup évidents. [...] le quatrième
de ces "Haïkaï", intitulé Gagaku, évoque,
par les procédés sonores modernes les plus caractéristiques
de Messiaen, la musique noble telle qu'elle se pratiquait à la
cour impériale du Japon au VIIe siècle. C'est d'une beauté
à laquelle on ne peut guère rester insensible. Précisons
que la démarche de Messiaen nous a paru en sens inverse des Ecoles
nationales de musique qui se sont développées à la
fin du dix-neuvième siècle. Alors que les musiciens de chaque
pays s'efforçaient de "nationaliser" au maximum leur
inspiration en faisant appel aux sources folkloriques, Messiaen au contraire
universalise une musique qui était à l'origine purement
japonaise.
L'autre événement de la soirée était la première
audition en France d'Equivalences du jeune Jean-Claude Eloy dont une uvre,
déjà, avait fait quelque sensation au "Domaine Musical"
la saison passée. Naturellement il s'agit ici de musique pure traduisant
certaines préoccupations du compositeur pour équilibrer
des forces contraires: continu-discontinu, négatif-positif, bruit-son
pur, statique-dynamique, etc. Assez curieusement, l'écho se retrouve
encore ici de certaines musiques traditionnelles japonaises. Mais il ne
s'agit pas d'évocation: seules des préoccupations analogues
(et assez étrangères d'une façon générale
à celles de la musique occidentale) conduisent à des similitudes
qui restent d'ailleurs fort subtiles. Telles quelles, ces Equivalences
affirment le tempérament très personnel de Jean-Claude Eloy.
Parmi ce que Pierre Boulez appelle les "classiques" contemporains,
nous entendîmes l'op. 13 de Webern: quatre mélodies accompagnées
à l'orchestre, dont deux mettent en musique des poèmes adaptés
du chinois [...] Antérieures à ces mélodies de Webern
les trois Poèmes de la lyrique japonaise de Stravinsky ne leur
cèdent en rien en concision [...] Et cette réussite fit
ressortir la banalité relative de Stèle pour Sei Shonagon,
cycle de mélodies dédié à la grande poétesse
japonaise du dixième siècle par Pierre Froidebise. Ce compositeur
sériel belge est mort récemment [...]
Il n'y a pas grand-chose à dire de la Suite op. 11 pour flûte,
clarinette, cor, violon, alto, violoncelle et harpe, d'Alexander Goehr
[...]
JACQUES BOURGEOIS
______________________________________________
FRANCE OBSERVATEUR
7 novembre 1963
MUSIQUE
J.-C. Eloy : un nom à retenir
On ne peut que se réjouir devant
le nouvel éclatement du Tout-Paris-Sériel qui vient de marquer
ce début de saison de la jeune musique. Après la généreuse
publicité de la Télévision, il y avait en effet les
micros de la RTF, M. Malraux et même M. Bondeville au premier concert
du Domaine Musical. À croire que voilà une institution désormais
nationale, et que bientôt La Marseillaise se chantera sur une série
dodécaphonique ![...]
La sensation de la soirée ne fut ni la direction de Boulez ni la
création de la dernière page de Messiaen, mais bien la première
audition d'une pièce sans prétention où l'originalité
du vocabulaire le dispute à la densité sensible. Ces "Equivalences"
pour douze instrumentistes et six percussions ont été créées
à Darmstadt cet été, et jouées tout récemment
à Donaueschingen avec le même succès qu'ici où
on les a bissées. Le public ne s'y trompe pas: Jean-Claude Eloy
(né à Rouen en 1938, élève de Milhaud puis
de Boulez) ne se paie pas d'effets faciles. Il a quelque chose à
dire et il le dit avec concision. Il n'immole pas son cur sur l'autel
de la mathématique et, de plus, il fait preuve d'une rare force
de persuasion. L'an dernier, après son Etude III pour orchestre,
je parlais de "tempérament", aujourd'hui j'écris
sans crainte le mot dangereux de "génie". [...]
MAURICE FLEURET
______________________________________________
LES LETTRES FRANÇAISES
Nž 1.002 Du 7 au 13 novembre 1963
LA MUSIQUE par Suzanne Demarquez
MESSIAEN ET BOULEZ
au Domaine Musical
Concert de rentrée
très attendu en raison de l'importance du programme où s'inscrivait
une création de Messiaen. Au début, Pierre Boulez, s'adressant
au ministre Malraux, présent dans la salle de l'Odéon, et
au nombreux public qui s'y pressait, rendit un fervent hommage à
Roger Désormière. Il ne crut pas nécessaire de rappeler
que celui-ci avait dirigé "son" Soleil des eaux à
une époque où le nom de Boulez était honni. Il se
contenta de célébrer "l'indépendance et le courage
- dans sa profession où hors d'elle ..." de cet "animateur
incomparable" qu'était son ami. Puis il sauta sur l'estrade
et le concert commença sous sa direction.
Voir diriger Boulez est un spectacle fascinant. Dédaignant l'habituelle
baguette - en a-t-il même jamais tenu une ? - il projette à
droite ou à gauche une main autoritaire et semble cueillir dans
les airs quelque chose d'invisible qui se transforme, pour notre oreille
charmée, en un son évanescent de harpe éolienne,
un friselis de cordes, une note cristalline du célesta, un soupir
de cor lointain, sinon un mugissement du trombone ou du piano. Ou bien
les mains se ferment, les doigts réapparaissent l'un après
l'autre et comptent: "Un, deux, trois... huit, dix". Alors,
les "personnages rythmiques" de Messiaen surgissent à
point nommé. À moins que Boulez ne se contente de marquer
tout simplement le temps fort, comme le premier chef venu. Ses musiciens
ont l'air en transe, hypnotisés. Et pourtant il n'y a là
ni mystère, ni magie, ni même autoritarisme implacable. Simplement
un chef qui sait exactement ce qu'il veut, l'indique au bon moment et
de façon parfaitement lisible. Allons, l'orchestre de l'Opéra
sera entre bonnes mains et je crois que nous pouvons nous attendre à
un Wozzeck magnifique...
Pour en revenir au concert du Domaine, [...] Séparées par
les Vier Lieder op. 13 de Webern, sur des textes chinois (l'Extrême-Orient
était à l'honneur ce soir-là), voici les uvres
significatives de la soirée. D'abord, les Equivalences, de Jean-Claude
Eloy, jeune musicien dont j'ai déjà signalé les dons
remarquables, élève de Milhaud à Paris et de Boulez
à Bâle. Le titre "doit être interprété
dans le sens d'un équilibre entre des forces contraires".
Équivalences de tous les effets imaginables de batterie, de quelques
notes intraduisibles du piano, du choc mat du xylo et des calebasses qui
parviennent à un orage admirablement réglé entre
tous les instruments à la fois: cuivres, batterie, piano, orage
qui se calme comme par enchantement. Réussite complète,
émouvante, qui a rencontré un succès largement mérité
et partagé par le Groupe instrumental à percussion de Strasbourg.
Pour finir, Sept Haïkaï, esquisses japonaises que Messiaen nous
a rapportées en souvenir de sa tournée là-bas. [...]
SUZANNE DEMARQUEZ
______________________________________________
LE GUIDE DU CONCERT
23-29 Novembre 1963
LE DOMAINE MUSICAL
(Odéon-Théâtre de France le 30 octobre)
Concert tout à fait exceptionnel,
où deux uvres se détachent nettement, dont une création
de Messiaen, Mais voyons d'abord le début.
Après quelques mots fort simples, émus, adressés
à M. Malraux, présent dans la salle. et au public, en hommage
à Roger Désormière, animateur incomparable, dont
il loue l'indépendance et le courage, Boulez saute sur l'estrade,
pour diriger - sans baguette, naturellement, mais avec quelle sûreté
! - [...]
Extrême-Orient, Japon, Chine, était à l'honneur, ce
que prouvait un programme homogène et bien composé - voici
les deux pièces significatives de la soirée. D'abord les
Equivalences de Jean-Claude Eloy. J'ai dit l'an dernier à cette
même place combien doué me paraissait ce jeune produit de
notre Conservatoire National Supérieur (parfois on y élève
fort bien la jeunesse), disciple de Milhaud, revu et perfectionné
par Boulez. Cette uvre, créée à Darmstadt en
juillet dernier en apporte une preuve nouvelle. Équivalences ?
qu'est-ce à dire ? Traduisez oppositions ou plutôt, équilibre
réalisé entre forces contraires. Équivalences de
tous les effets imaginables de batterie, d'un son diapré de vibraphone
avec quelques notes intraduisibles du piano, du choc mat du xylo, des
calebasses, contre les glissandi de ce même xylo, etc. Je vous passe
les "structures aléatoires localisées, articulées
sur des parcours variables d'intensité", pour arriver plus
vite au sommet de l'uvre, à un déferlement prodigieux
de tous les instruments à la fois, produisant un orage merveilleusement
réglé, s'éteignant comme par enchantement. Une uvre
d'un jeune maître qui sait construire, je vous le promets, et qui
ira loin.
Pour finir, le souvenir précieux que nous rapporte Messiaen d'une
tournée au Japon: sept Haïkaï en forme d'esquisses. [...]
SUZANNE DEMARQUEZ
|
|