BUTSUMYÔE
SAPPHO HIKÈTIS
Presse (Français)
________________

LIBÉRATION
Vendredi 27 Octobre 1989
DEUX VOIX POUR "SAPPHO HIKÉTIS"
Dominique Jameux

*

MUSICA 91 STRASBOURG
(Septembre-Octobre 1991)
LES VOIX D'ELOY
Philip de la Croix

*

DERNIÈRES NOUVELLES D'ALSACE
Mercredi 2 Octobre 1991
Musica
Ce soir à Pôle Sud
La quête extrême de Jean-Claude Eloy
Antoine Wicker

*

DERNIÈRES NOUVELLES D'ALSACE
4 Octobre 1991
Festival "Musica 91", Strasbourg
L'émoi des voix d'Eloy
Jean Wittersheim

*

SPANDAUER VOLKSBLATT
9 février 1992
L’une des moitiés du "multiculturel"
(Concert 7.2.92)
Matthias Reissner

*

LIBERATION
Samedi 23 et Dimanche 24 Novembre 2002
CONTEMPORAIN.
L'esprit d'Eloy
Par
Eric Dahan

 

BUTSUMYÔE
SAPPHO HIKÈTIS
Presse (Français)
________________________________________________

LIBÉRATION
Vendredi 27 Octobre 1989
DEUX VOIX POUR "SAPPHO HIKÉTIS"

Deux chanteuses entourées d'un appareillage électro-acoustique qui diffuse une bande enregistrée entre Genève et Amsterdam, de quelques instruments traditionnels judicieusement choisis - et d'ailleurs déjà présents sur la bande. Yumi Nara, Japonaise, au demeurant passée également sous les fourches caudines du Conservatoire national français; Fatima Miranda, espagnole, qui a travaillé avec la précédente, et apprend aujourd'hui le chant indien. Aux deux femmes, vous donnez trois fragments de la poétesse Sapho (Grèce). Lumières "ad hoc". De cette bigarrure cosmopolite naît une étrange unité, moderne absolument, et personnelle: "Sappho Hikètis", de Jean-Claude Eloy, de lointaine obédience boulézienne, épris de culture extrême-orientale, et notamment Japonaise. Vingt minutes fascinantes. Performance vocale extraordinaire de Fatima Miranda, sa compère restant un peu en retrait dans cette pièce. Le reste du programme comprend aussi "Butsumyôe", narration d'un destin de femme tirée d'un roman de l'écrivain classique Ihara Saîkaku, où le chant de Yumi Nara relève davantage de la musique traditionnelle. Enfin, en début de soirée, "D'une étoile oubliée" donne à entendre la bande magnétique seule de la troisième pièce, ce qui permet de constater qu'elle "tient" par elle-même.

DOMINIQUE JAMEUX

* Conservatoire national supérieur d'art dramatique, 2, rue du Madrid, Paris, les 27 et 28 Octobre à 20 h 30.
________________________________________________

MUSICA 91, STRASBOURG
(Septembre-Octobre 1991)
LES VOIX D'ELOY

Jean-Claude Eloy aime les femmes. Nous aussi, et plus encore quand il s'agit des formidables voix de Yumi Nara, Fatima Miranda, Junko Ueda ...

Hors normes, hors circuit, hors mode et hors du temps. Premier prix de piano, élève de Milhaud, Boulez et Scherchen, professeur à Berkeley. Passionné par l'instrumentarium classique et électroacoustique. Fasciné par l'Orient. Depuis trente ans...
Jean-Claude Eloy réunit en une soirée cinq pièces consacrées à des épisodes philosophiques et culturels qui mettent en présence des femmes, sous le titre unificateur de Libérations. Que l'on se rassure: il n'y sera pas question de discours politique ou de leçon de philosophie. Mais d'entendre ce que Sappho, les Upanishads hindous, les Indiens d'Amérique, le romancier japonais Ihara Saikaku ou Rosa Luxembourg ont dit des femmes. Et tant pis si l'on ne comprend pas le sanskrit, le japonais ancien, le grec moderne ou l'indien Cherokee car au-delà même de la poésie et de la musicalité propres à tous ces textes, il y a l'autre langue, la musicale, celle de Jean-Claude Eloy.
La Révolution, la Religion, l'Eros. Et quatre voix extraordinaires, venues d'Espagne ou du Japon. Parmi elles, deux complices de longue date des aventures musicales et philosophiques d'Eloy. La superbe Fatima Miranda, qui a su assimiler le chant flamenco, le dhrupad indien ou le kabuki japonais. L'incroyable et excentrique Yumi Nara, rompue à toutes les audaces de la création contemporaine...
Une prodigieuse exploration du timbre et de la couleur. Tous les registres de la voix féminine, du plus grave, à la manière des moines bouddhistes japonais, jusqu'au plus incroyable aigu, genre fil métallique. Et le compositeur réalise ici avec ses interprètes ce que l'on fait d'habitude avec des machines en studio : deux de ses pièces d'ailleurs se passent purement et simplement de tout l'instrumentarium informatique si cher à Eloy.
Le voyage va au cœur de l'extrême de l'univers de la musique vocale. Ce que Femme y veut, Dieu le veut; Jean-Claude Eloy aussi...

PHILIP DE LA CROIX

Strasbourg-, Meinau, Pôle Sud, Mercredi 2 octobre, 20 h 30
________________________________________________

DERNIÈRES NOUVELLES D'ALSACE
Mercredi 2 Octobre 1991
Musica
Ce soir à Pôle Sud
La quête extrême de Jean-Claude Eloy

Fatima Miranda, Yumi Nara, Junko Ueda … Voix absolument singulières et un nouveau poème musical de Jean-Claude Eloy. L'extrême quête du timbre et de la couleur…

Jean-Claude Eloy revient à Strasbourg et à Musica avec un évident plaisir. Il adore et regrette cette fois-ci encore de ne pouvoir véritablement goûter ni la ville ni le festival. Tout son temps va à la répétition de "Libérations", une ambitieuse création dont il présente à Strasbourg le dernier état. Trois heures et trente minutes de musique déjà. "J'aime m'installer ainsi dans la durée. J'ai besoin de vivre un son dans sa durée..."
Les vieux routiers du festival se souviennent d'une longue nuit vécue dans le gymnase d'un établissement scolaire de la ville, en 1985, allongés à même le sol, somnolents parfois, et en état de veille pourtant. Jusqu'au bout de la nuit... Fasciné par l'Orient et passionné par la bande magnétique: l'itinéraire de Jean-Claude Eloy compte au nombre des plus singuliers et des plus radicaux qu'aient suscités ces dernières décennies.
Avec les cycles créés ou programmés de "Libérations", il renoue avec l'expression vocale soliste et expérimente des relations nouvelles avec la littérature. Des textes sanskrits, le destin d'une prostituée conté par le Japonais Saikaku, la poésie de Sappho, les lettres de Rosa Luxemburg à Sonia Liebknecht, des écrits éco-féministes californiens: révolution, religion et éros organisent l'active méditation d'Eloy.
Il bâtit son ouvrage sur le matériau concret des instruments, des langues et des voix. En application scrupuleuse d'une série de principes - l'exigence, la concentration, la patience... - auxquels il colle avec une absolue rigueur et beaucoup de naturel. Les langues, il ne les parle évidemment pas: "Mais je travaille, j'étudie, je pénètre chaque mot sanskrit ou japonais, pour que chaque mot porte…" Les instruments ? "Le drame de la musique contemporaine, c'est que trop de compositeurs n'ont jamais touché un instrument..." Les voix ? "Je construis chacune de mes pièces après avoir étudié concrètement les ressources et caractéristiques vocales de chacune des interprètes..."
Et il construit autour d'elles de spectaculaires volumes sonores: "Je fabrique mes masses sonores en studio électro-acoustique. C'est une garantie de liberté. Recourir aux grands orchestres m'imposerait d'être moi aussi esclave des politiques institutionnelles..." Il n'en veut pas. Et si les chemins qu'il emprunte ont tout l'air de le porter doucement vers la création d'un opéra, Jean-Claude Eloy n'envisage pas une seconde de se plier à la règle institutionnelle classique: il ne répondra jamais, dit-il, qu'à une nécessité intérieure. L'œuvre naîtra de son travail, dans la patience et la durée, et non pas d'une quelconque commande...
Elle naîtra d'une profonde familiarité et complicité avec ses interprètes. Eloy se dit "ahuri" par les comportements de musiciens d'orchestre qui une seconde avant de jouer donnent l'impression d'être dissipés, absents, ennuyés d'être là, à la corvée ou au turbin: "La musique se dégrade à ne cultiver que la virtuosité de ses interprètes, lorsqu'elle n'a plus d'autre fin qu'elle-même. L'Occident devrait réapprendre à se concentrer sur un son, et à le tenir comme il faut..."
C'est l'intensité d'une telle concentration qui nous manquerait le plus. Elle qualifie précisément la passion d'Eloy, et signale toujours à nouveau l'évidente dimension rituelle de sa musique: "Il y a bien dans l'action de faire de la musique quelque chose de sacré..."

ANTOINE WICKER*

Ce soir à 20 h 30 à Pôle Sud
________________________________________________

DERNIÈRES NOUVELLES D'ALSACE
4 Octobre 1991
Festival "Musica 91", Strasbourg
L'émoi des voix d'Eloy

Salle comble pendant deux heures de temps. Et quelques-uns ont poussé jusqu'après l'heure de minuit, après l'entr'acte. Les voix d'Eloy étaient à Pôle-sud. Chaque édition du festival a comporté sa soirée-marathon destinée aux fans voire aux stakhanovistes des nouvelles musi-ques. On se souvient des nuits passées aux bains, des gigantesques cycles de quatuor à cordes des performances pianistiques...
Malgré un cycle à cinq volets amputé d'un épisode, "Libérations", de Jean-Claude Eloy a tenu en haleine quelques irréductibles durant plus de trois heures...

C'est durant la préparation des manifestations du bicentenaire de la révolution qu'est née l'idée du cycle intitulé "Libérations".
Variations sur un thème, combinaisons de textes anciens et modernes. Poésie, Révolution, Amériques, Asie... s'entrechoquent.
Le singulier travail électro-acoustique de Jean-Claude Eloy, nous le connaissions déjà. Il peut nous installer dans un climat obsessionnel parfois déroutant voire exaspérant.
Il peut aussi déclencher une véritable hypnose, une fascination prenante et inquiétante.
Le son - dans toute sa splendeur - Eloy ne nous le jette pas aux oreilles comme un amoncellement d'informations d'une savante complexité. Non, il le fait vivre et respirer.
Il l'étudie, il en recherche le plus d'ouvertures possibles. Autant d'horizons extraordinaires, intemporels d'une dimension à donner vertige et ivresse.
À la sophistication électro-acoustique Jean-Claude Eloy combine une variété de voix pour des évocations exposées en sanskrit, japonais, anglais, grec... Voix criarde ou lyrique.
Voix dédoublée ou sussurée. Là encore Eloy pousse son perfectionnisme à l'extrême, offrant aux solistes une palette interprétative d'une folle richesse. Le raffinement y trouve aisément sa place. La rage, la nostalgie, le charme aussi.
Décidément la planète Eloy reste difficile à cerner mais elle garde un intact pouvoir de fascination.

JEAN WITTERSHEIM
________________________________________________

SPANDAUER VOLKSBLATT
9 février 1992
L’une des moitiés du "multiculturel"
(Concert 7.2.92)

Jean-Claude Eloy a présenté des parties de son cycle Libérations à l’Académie des Arts (Akademie der Künste). Il se considère comme étant un compositeur créant un échange entre les différentes cultures mondiales, sans pour autant détruire leur identité.
Rien d’étonnant donc à ce que dans le premier cycle, des textes en sanscrit, en japonais et en grec jouxtent la technique de pré-transformation/modulation électroacoustique initiée en Europe. De toute manière, cela revient au même pour l’auditeur qui n’a pas une connaissance étendue des langues.
La technique vocale de Yumi Nara, de Junko Ueda et surtout de Fatima Miranda est toutefois exceptionnelle. Une diversité stupéfiante de modes d’expression noyée dans un déroulement de la composition la plupart du temps monotone. La deuxième partie de "Libérations", Butsumyôe, raconte l'histoire d'une prostituée japonaise dans une sorte d’allocution échauffée musico-dramatique que seules viennent interrompre l’intervention sporadique de percussions et une deuxième voix. […]
La première partie, qui pétrit l’auditoire de puissants infrasons en ouverture, nous offre une expérience électroacoustique remarquable. Dans "Erkos", Junko Ueda a joué du Satsuma-Biwa, sorte de mandoline, avec une virtuosité n’ayant d’égal que le caractère énigmatique de l’ensemble de l’œuvre. Le compositeur multiculturel est là. Seul manque encore l'auditeur multiculturel capable de faire aisément le lien entre la technique vocale japonaise et l'esthétique de la Grèce antique.

MATTHIAS REISSNER
________________________________________________

LIBERATION
Samedi 23 et Dimanche 24 Novembre 2002
CONTEMPORAIN.
L'esprit d'Eloy
Par
Eric Dahan

Le compositeur électro-acoustique français, passionné de musique asiatique, est célébré par le festival Why Note de Dijon.

Électroacoustique, Fatima Miranda, voix, Junko Ueda, satsuma-biwa, Yumi Nara, soprano. Samedi a 18h ("Butsumyôe", "Sappho Hikètis"), 20h et 21h30 ("Erkos", "Galaxies"), au théâtre des Feuillants de Dijon.

Une tour de La Défense, en fin d'après-midi. Paris semble à portée de main, mais Jean-Claude Eloy a appris à vivre en marge. Des institutions, du système et de l'actualité. Une lettre de trop à Pierre Boulez à la fin des années 70 et l'élève qui ne supportait pas de voir le maître de la contestation accepter l'exercice du pouvoir, s'est retrouvé persona non grata à l'lrcam. En a-t-il souffert ? Il préfère discuter de sa passion de l'ailleurs, et de l'idée qu'il se fait de la modernité. Des centaines de volumes consacrés aux mysticismes divers, aux différents échantillonneurs digitaux dont les câbles s'entremêlent au cœur de ce qui fût le salon: le décor n'est pas celui d'un mandarin, mais plutôt d'un techno-kid. À la différence près qu'Eloy a été formé à la Schola Cantorum, est devenu l'élève de Darius Milhaud au conservatoire, puis de Boulez - qui dirigera son œuvre Equivalences à Paris, Donaueschingen, Los Angeles et Darmstadt.

Choc

Fils d'ingénieur-conseil, Jean-Claude Eloy, né en 1938 à Rouen, compose depuis l'âge de 12 ans. Fait notable pour l'époque, il est sous l'influence d'Olivier Messiaen, le compositeur-ornithologue au langage original, basé entre autres sur la métrique du plain-chant et des decî-talas hindous, et l'utilisation de rythmes non rétrogradables. Cette passion pour la musique du futur compositeur de Saint François d'Assise coûtera à Eloy son concours d'harmonie au conservatoire, où l'on goûte peu ces nouveaux modes à transposition limitée que l'étudiant ose employer. Ils ne sont pas beaucoup à cette période, même si Milhaud est très libéral, à accueillir et diffuser la musique contemporaine.
Alors, quand Gilbert Amy emmène Eloy à un concert du Domaine musical au Petit Marigny, c'est le choc. En plus de son propre Marteau sans maître, Boulez, qui a fondé cette société de concerts unique, dirige d'autres œuvres atonales ou sérielles signées Stockhausen, Nono et Webern.
La fameuse table rase opérée par ceux qui ne jurent que par la deuxième école de Vienne (Schoenberg, Berg, Webern) fascine le jeune compositeur qui a soif de nouveauté, même s'il se passionne parallèlement pour les documents sonores disponibles au Centre d'Etudes de Musiques Orientales.

Carrefour

En attendant les voyages au Japon, il fréquente Darmstadt, carrefour de l'avant-garde européenne ("C'était alors encore un centre de recherches effervescent, pas l'institution que c'est devenu"), puis passe par l'Académie de Bâle, où Boulez lui enseigne les microstructures, tandis que Stockhausen lui apprend la science des grandes formes.
À 27 ans, nommé professeur à Berkeley (Californie), il fuit un Paris "à l'esprit étriqué", mais doit rapidement déchanter: l'université américaine ne dispose pas de studio électroacoustique.
Les assistants de Stockhausen ayant parlé au gourou de Kâmakalâ, une œuvre pour orchestre d'Eloy, mais sonnant comme de l'électronique, le petit Français trouve asile chez son héros à Cologne et compose dans l'excitation Shânti, deux heures de musique. La combinatoire sérielle, le formalisme abstrait des bouleziens ne l'intéressent plus. C'est la façon dont une activité acoustique remplit le temps qui excite sa créativité. Le laboratoire de la faculté des sciences de Censier l'accueille, puis c'est le Japon, via la NHK (radio nationale) et le Théâtre National, qui cherche des compositeurs pour son ensemble de gaguku (musique de la cour royale d'origine chinoise).
Pourquoi est-il captivé par cette musique non modulante, si "pauvre" pour l'oreille occidentale. Parce que "le corps acoustique y fluctue en permanence, grâce à la fine science ornementale des musiciens et chanteurs asiatiques". Pour eux, qui ne connaissent pas notre solfège, il invente une notation graphique, et ça marche.
Depuis, il n'a de cesse de transformer des sons abstraits en sons concrets et, inversement, de démultiplier la voix humaine ou une note de satsuma-biwa pour en faire un grondement tellurique, sans passer par les programmes de l'Ircam. "l'utilisation de l'électronique dans la musique populaire fait que l'industrie a développé des tas de logiciels équivalents", explique-t-il.

Modulateur

Après Grenoble l'an dernier, c'est au tour de Dijon de rendre hommage à ce grand modulateur de l'infinitésimal. Il se souvient encore de 1977, lorsque l'Orchestre de Paris sabota l'éxécution de l'une de ses œuvres au Palais des congrès. Pour lui, tout reste affaire de temps: "l'électroacoustique peut encore se développer, devenir le piano du XXIe siècle."

ERIC DAHAN